Il faut déboulonner les clichés coloniaux pour s’auto-affranchir enfin !

7-7-2020 (AfrikMonde.com) Faire tomber ces vestiges qui rappellent le passé glorieux ou sombre des peuples en fonction de comment est écrite ou perçue l’histoire n’est pas chose nouvelle.

En juillet 1776, durant les jours qui ont suivi la déclaration d’indépendance de la nouvelle nation américaine, tous les symboles de la Grande-Bretagne colonisatrice sont défigurés, détruits et brûlés. Le général George Washington et ses troupes, ainsi que des centaines de citoyens dans l’enthousiasme de leur révolution renversent les statues coloniales dont celle équestre de deux tonnes du roi George III. Des panneaux et portraits sont déchirés, tagués comme pour se défaire physiquement de l’emprise du colon. Un élan de frénésie de destruction qui rend les attaques d’aujourd’hui à travers le monde contre les confédérés et d’autres symboles de la suprématie blanche, pâles en comparaison.

Soixante ans après nos indépendances, à trop vouloir caresser les choses dans le sens du poil, ces symboles inamovibles dans le temps s’érigent ici-bas en maîtres absolus aux regards condescendants sur des peuples encore assujettis.

VGE, Rue Colombe, Avenue Chardy, Avenue Dr. Crozet, Avenue De la Fosse, Avenue Treich-Lapleine, Boulevard Botreau Roussel, Boulevard Carde, Boulevard Clozel, Boulevard de France, Boulevard Général de Gaulle, Boulevard Montigny, Boulevard Paris Village, Rue Toussaint Louverture, Rue Lecoeur, Camp Gallieni, 43eme Bima et consort semblent bien illustrer une fixation qui plombe et met comme en évidence une volonté ou contrainte de s’agripper à sa France.

Pendant que des thèses et antithèses sur le racisme courent les médias du monde, un nouveau printemps de déboulonnage gagne du terrain.  L’Afrique, dont la Côte d’Ivoire où pullulent des symboles de traite négrière et de colonisation peine à être au rendez-vous. Pour que l’indépendance financière donne à nos pseudo-indépendances politiques du poids dans la balance de la vraie indépendance, avant de mettre de l’eco dans nos poches, il faudrait bien se défaire des stigmates de la colonisation.

LE CAS JOSEPH SIMON GALLIENI. Militaire et administrateur colonial français qui en 1849 prend une part active à l’expansion et à la consolidation de l’emprise française en Afrique notamment, au prix de méthodes dont la brutalité culmine avec des massacres. Il réprime durement les insurrections des autochtones, consolidant la présence française en organisant l’administration des pays où il séjourne. Il élabore les prémices de ce qui est convenu d’appeler sa doctrine coloniale, tels que la « tache d’huile », et la « politique des races », raffinement de la politique du diviser pour régner.

« Frapper à la tête et rassurer la masse égarée par des conseils perfides et des affirmations calomnieuses, tout le secret d’une pacification est dans ces deux termes. En somme, toute action politique dans la colonie doit consister à discerner et mettre à profit les éléments locaux utilisables, à neutraliser et détruire les éléments locaux non utilisables. » Joseph Gallieni, cité dans Alain Ruscio, « Le crédo de l’homme blanc », Éditions Complexe, Bruxelles, 2002, p. 250-251.

Gallieni évoque ici sans faux fuyant la méthode à suivre pour affermir les conquêtes coloniales. Il préfère la méthode forte pour endiguer la montée de la résistance anticoloniale. Jouissant des pleins pouvoirs à Madagascar, il fait arrêter le prince Ratsimamanga et Rainandriamampandry, ministre de l’Intérieur malgache. Ils sont traduits devant le Conseil de guerre pour rébellion et « fahavalisme ». Va s’en suivre l’issue d’une parodie de procès où ils sont condamnés à mort et exécutés à titre d’exemple, souhaitant faire « forte impression sur les indigènes ». L’instauration du travail forcé et les exécutions sommaires massives caractérisent la répression qu’il conduit contre la résistance malgache font de nombreux morts.

Son application de la politique dite de politique des races, qui consiste dans la reconnaissance de l’identité de chaque groupe ethnique et la fin de leur subordination à un autre groupe ethnique, ceci avant tout pour mettre fin à la domination des plus hostiles à la domination française. En s’appuyant sur les thèses anthropologiques racialistes du diplomate et écrivain français Joseph Arthur de Gobineau.

Arthur de Gobineau qui doit sa notoriété posthume à son Essai sur l’inégalité des races humaines (1853-1855), l’érigeant parmi les pères de la pensée racialiste. Un essai qui se présente sous la forme d’une longue récapitulation de l’histoire des civilisations humaines, ordonnée par le concept de « race » et marquée par une philosophie de l’histoire à la fois déterministe et pessimiste. Gobineau y postule l’existence de trois races primitives, dont les métissages, nécessaires selon lui à l’épanouissement des civilisations, conduisent toutefois inéluctablement en retour à la décadence de l’espèce humaine.

Ces « trois éléments purs et primitifs de l’humanité » que sont pour Gobineau les races jaune, blanche et noire sont conçues comme fondamentalement inégalitaires, non pas tant de manière quantitative que qualitative.

La race blanche se voit octroyer « le monopole de la beauté, de l’intelligence et de la force ». Dans sa description de la race noire, il « accumule », selon Pierre-André Taguieff, « sans la moindre distance critique, les préjugés et les stéréotypes négrophobes les plus bestialisants et criminalisants ». Sur le plan de l’intelligence, il lui attribue des « facultés pensantes […] médiocres ou même nulles ». Elle possède l’avantage dans le domaine des sens, où certaines de ses facultés, « le goût et l’odorat principalement », sont développées « avec une vigueur inconnue aux deux autres ». « Mais », ajoute Gobineau, « là, précisément, dans l’avidité de ses sensations, se trouve le cachet frappant de son infériorité ».

Placée au sommet de la hiérarchie des races primitives, la race blanche se voit dénuée selon Gobineau d’un principe indispensable à l’épanouissement des civilisations, et plus particulièrement des arts, celui des sensations. Pour acquérir cette propriété, « cachée dans le sang des noirs », le métissage, auquel la nature civilisatrice de la race blanche la pousse infailliblement, s’avère indispensable : car si la race blanche est dépourvue des qualités sensuelles, la race noire manque pour Gobineau des « aptitudes intellectuelles » nécessaires à « la culture de l’art ». Ce métissage a toutefois son envers : il « mène les sociétés au néant auquel rien ne peut remédier ». Aboutissement de cette perte de vitalité causée par le métissage, la « démocratie égalitaire » apparaît comme le produit d’une passion pour l’égalité vers laquelle tendent naturellement les peuples dégénérés par les « apports des races étrangères ». Le régime démocratique est ainsi désigné par Gobineau comme le cimetière des civilisations, dont la valeur dépend essentiellement de caractères héréditaires corrélés aux propriétés du sang.

Au vu de la pertinence de l’histoire, déboulonner ou renommer le lourd passé impérialiste serait un signe fort de l’intention de l’Afrique de s’auto-affranchir.

Kakou Nda

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