Edito/Retour des sanctions : la Côte d’Ivoire apprend à ses dépens

Les récentes sanctions de la CEDEAO à l’encontre de certains pays de l’Afrique de l’Ouest, comprennent la fermeture des frontières terrestres et aériennes, la suspension de toutes transactions commerciales, le gel des avoirs de ces pays dans les banques. Ce, pour violation des règles de droit national et international. Il fallait donc punir les coupables et protéger l’ordre public. Ils ont dit ordre constitutionnel…

La cruauté de ces impositions affiche au grand jour son inefficacité, jusqu’à preuve du contraire. Des tractations d’abord officieuses, se sont faites publiquement officielles. Il a juste fallu que le goulot d’étranglement se resserre sur les initiateurs pour qu’ils reviennent à la raison. La tradition africaine enseigne pourtant la sagesse sous l’arbre à palabre, où le linge sale est lavé en famille. Savoir s’envoyer lorsque vous l’êtes, dit un proche. Nos jeunes démocraties sont allées trop vite en besogne.

A vouloir imiter les maîtres, prompts à sévir, les élèves vont tous apprendre à leurs dépens que les sanctions finissent toujours par être un avantage pour qui les subit. Les exemples de la Russie et de l’Iran sur la scène mondiale finissent de convaincre. Ces sanctionnés se sont retrouvés plus aguerris après que l’enfer financier leur avait été prédit.

Dans la sous-région, des pays dit condamnés parce qu’enclavés ont été mis sous pression pour les inciter à changer de comportement. Menacés pour les dissuader. Tout portait à croire que ces sanctions allaient envoyer un message fort et créer un levier de pression les forçant à négocier dans l’urgence, un règlement pacifique du conflit. Mais contraints, les pays de l’AES iront chercher ailleurs ces ingrédients vitaux à leur survie, compromettant à long terme, l’intégration économique entre les pays membres de la zone CFA.

La nature ayant horreur du vide, l’Asie, opportuniste, va leur offrir de meilleurs deals. La Côte d’Ivoire prise dans l’étau, a des secteurs clés de son industrie dont celui de l’huile de palme, éprouvés. Des régimes de palmes s’entassent et pourrissent, faute d’acquéreurs. “Le pays” au premier rang des sanctionneurs de la CEDEAO n’a fait qu’installer doute et incertitude dans son agriculture, un des piliers de son économie.

Cependant, le double jeu des Etats-Unis, toujours premiers à sanctionner, entre réalisme et implémentation de sanctions, est frappant. Le 4 mars 2024 l’Atlantic Navigator, un navire russe en provenance de Saint Pétersbourg à destination des Etats-Unis s’arrête d’urgence dans un port allemand pour des problèmes techniques, son hélice ayant été endommagée. L’inspection des conteneurs fait découvrir aux douaniers allemands du bois de coupe et de l’uranium.

Néanmoins, retenu, parce que soupçonné d’avoir enfreint les sanctions, le bureau principal des douanes de Stralsund, sans fournir d’autres détails, l’autorise à quitter le port de Rostock. Bien que les sanctions Européennes, sous l’égide de la Maison Blanche, interdisent le transport, le commerce de tous ces matériaux en provenance de la Russie, les Etats-Unis ne leur ont jamais acheté autant d’uranium. 813 millions en 2022 et plus d’un milliard d’euros en 2023 ! Des records historiques alors que des batailles en Ukraine, au cœur de l’Europe, font rage. Le navire Russe à l’ombre de tapage médiatique ira livrer son contenu aux Etats-Unis, à bon port.

Ce non-événement, parce qu’absent de la une de la presse internationale, prouesse américaine ou naïveté européenne, en dit long sur l’essence des sanctions. A qui profitent-elles ? A la lumière des réalités de ce monde unipolaire, l’on serait plutôt tenté de se demander à qui profite donc le crime ?

A qui a profité la destruction d’Alstom, multinationale française spécialisée dans le secteur des transports, principalement ferroviaire ? Dans qui rachète et qui est racheté, il y en a toujours un qui dirige en imposant sa vision stratégique, et l’autre, minoritaire, doit se plier. Ainsi, les turbines à gaz d’Alstom Énergie intéressaient le groupe américain General Electric (GE) qu’il a récupéré tout de suite à 100 % ainsi que le portefeuille de brevets logé en Suisse…

A qui la crise des sous-marins australiens a-t-elle profité ? Une crise diplomatique et commerciale a opposé la France à l’Australie d’un côté, et les États-Unis et le Royaume Uni en toile de fond. Ceci, après l’annulation abrupte d’une commande de douze sous-marins qui devraient être construits par le groupe industriel français Naval Group. Les ambassadeurs de France aux États-Unis et en Australie ne pourront qu’être rappelés. Qu’à cela ne tienne ! Au cours d’une allocution conjointe avec Joe Biden et Boris Johnson, le Premier ministre australien Scott Morrison annonce mettre fin au contrat avec la France au profit de la nouvelle alliance comprenant américains et anglais…

A qui profite la destruction du gazoduc Nord Stream, système de canalisation assurant le transport de gaz sous haute pression reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique ? En référence aux propos du président américain déclarant que Washington “mettrait fin” à Nord Stream 2 si Moscou intervenait militairement en Ukraine, il semble plus qu’évident que les américains ont mis à exécution leur menace. Privée d’approvisionnement, l’Europe est contrainte de faire avec un gaz de mauvaise qualité américain…

A qui a profité la disparition du Concorde dans la rude concurrence aérienne entre Boeing et Airbus ? Beaucoup associent la fin du Concorde au crash du vol AF4590 en juillet 2000, mais cet incident n’a fait qu’amplifier son sort. Le Concorde, avion supersonique, franchissait le mur du son, provoquant ainsi ce fameux bang supersonique. Ce prétexte de nuisance sonore a conduit les Etats-Unis et d’autres pays par ricochet à l’interdire au-dessus de leurs territoires, dégageant insidieusement du ciel, un concurrent ambitieux…

A qui profitent tous ces systèmes d’écoute à travers le globe ? De l’installation sur le toit de l’ambassade des Etats-Unis à Paris, aux puissants logiciels de la NSA (qui a pour rôle la protection des informations et des systèmes d’information du gouvernement américain) des systèmes d’écoute n’épargnent personne dans ce monde où la communication est passée reine. Angela Merkel, ancienne chancelière fédérale d’Allemagne et Emmanuel Macron, actuel Président de la République française, associés mordicus de la cause américaine en ont payé les frais…

A qui a profité des expérimentations au LSD (acide lysergique diéthylamide – causant des hallucinations) sur les villageois de Pont-Saint-Esprit ? Dans l’affaire du pain maudit, un journaliste américain accuse la CIA d’avoir mené, en 1951, des expériences secrètes qui auraient plongé la population du village du sud de la France dans un état de démence profond…

A la lumière de ces incidents diplomatiques ou commerciaux antérieurs, dont quelques-uns mentionnés plus haut, entre américains et européens, l’on est en droit de questionner l’intégrité des sanctions. Qui est donc le grand adversaire de l’Europe ? Qui enfreint les lois et sape la paix de ce monde ? Une série de destructions, de sabotages de l’intérêt des autres exposent la nature réelle de la politique expansive – tout azimut, des Etats-Unis. Ils se sont toujours tirés d’affaires. Ils ont toujours su déjouer ou contourner ces mêmes sanctions alors que les conséquences de leur politique extérieure engendrent le chaos partout. Ces sanctions semblent incarner le bras actif de cette politique.

Pendant que des sanctions tombent, ils continuent de dealer à l’abri des regards, tandis que les suivistes paient cash la facture de leur subordination. La Côte d’Ivoire ne fait pas exception à la règle. Lorsque Air France souhaitait reprendre la desserte de Bamako depuis Paris-Charles de Gaulle, les compagnies locales dont Air Côte d’Ivoire (l’Etat ivoirien actionnaire majoritaire à 58 % ; Air France ne détient que 11 % de parts) perduraient dans l’embargo aérien à destination du Mali ; pourtant lucratif !  La leçon a-t-elle été retenue ?

Le Conseil de Sécurité, à la solde des américains au premier rang, suivi des occidentaux, peut prendre des mesures pour prétendument maintenir ou rétablir la paix et la sécurité internationales en vertu du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies. Ces sanctions englobent un large éventail de mesures coercitives n’impliquant pas, heureusement, l’emploi des forces armées. Seulement, leur efficacité est un sujet complexe et controversé, les rendant plutôt contre-productifs. Certains philanthropes s’attardent à juste titre sur le volet des dommages collatéraux. Du moment où l’effet souhaité des sanctions n’est pas toujours garanti et dépend de divers facteurs, n’est-il pas important d’évaluer soigneusement les avantages et les inconvénients potentiels avant de les imposer au risque d’apprendre à ses dépens qu’elles ne profitent que plus à autrui ? La Côte d’Ivoire et les pays de l’AES sont du même acabit, partageant une histoire commune, des traditions similaires d’un même peuple.

Le 11 avril 2024, Abidjan a déroulé le tapis rouge au Général Brice Clotaire Oligui Nguema, de facto dirigeant du Gabon après son rôle clé dans le coup d’État du 30 août 2023 qui a renversé Ali Bongo, et l’ordre constitutionnel gabonais de toute évidence. Qu’à cela ne tienne ! S.E.M Alassane Ouattara a confirmé avec cette visite d’amitié et de travail en Côte d’Ivoire, que l’union entre africains est bien au-dessus des sanctions.

Kakou NDA

AfrikMonde.com