Edito : Nouvelle Calédonie : le paradis mal acquis au bord de l’implosion

24-6-2024 (AfrikMonde.com) Cet archipel d’îles, à quelques encablures de l’Australie dans le sud-ouest de l’océan Pacifique, offre une destination idéale pour la voile. Paradis tropical pour certains, il est prisé pour la plongée avec ses plages de sable blanc, ses lagons turquoise et sa végétation luxuriante. Mais derrière cet engouement touristique, se terrent bientôt deux siècles d’exploitations d’intérêts géostratégiques et minérales pour bien d’autres, principalement le colon français qui fait de ce lieu, un territoire d’outre-mer. Néanmoins, pour l’ONU, il s’agit plutôt d’un territoire non-autonome à décoloniser.

« Le colonialisme est un crime contre l’humanité », disait pourtant Emmanuel Macron, apportant ironiquement sa pierre à l’édifice de l’empire qu’il préside. Puissance construite sur l’exploitation et la destruction des autres. Il joint l’action à la parole en inondant cette île, aussi loin qu’à 16 811 km de Paris, de ses forces de l’ordre : son armée et tout le bataclan. La boucle est bouclée 40 ans plus tard, avec le retour de la brutalité connue du GIGN qui avait mis fin aux jours d’un certain Eloi Machoro, un 12 janvier 1985. Ancien instituteur Kanak, il avait choisi la solution la plus extrême pour se faire entendre. En quelques semaines, il est devenu le symbole le plus radical de la lutte pour l’indépendance de l’île. « Nous irons jusqu’au bout, et il n’est pas question pour nous de reculer », affirmait-il. Pour le Gouvernement français, il sera l’homme à abattre. Une foule de caldoches, ces descendants de colons, avait jubilé à l’annonce de sa mort.

En 1853 déjà, Napoléon III avait pris possession de l’île à coups de canon, alors que le peuple Kanak y vit depuis plus de 3000 ans. Il sera cantonné dans des réserves et ses terres agricoles confisquées. Des milliers seront déportés en Australie pour des travaux forcés. En 1878, le soulèvement du grand chef Ataï est réprimé dans le sang. Les Kanaks seront soumis au code de l’indigénat qui leur requiert de s’acquitter d’un impôt. Exposés comme des bêtes de foire, au jardin d’acclimatation à Paris, ce n’est qu’en 1946 qu’ils deviennent citoyens français sans pour autant reprendre leur destin en main.

Cependant, en Algérie, à l’autre bout du monde, une histoire cadenassée derrière le secret de défense traverse le rideau de plomb. En 1960 à la demande de Charles De Gaulle, en retard et classée dernière dans une rivalité obsessionnelle à la course au nucléaire, la France va y mener 17 essais en l’espace de 6 ans. Des morts se comptent par milliers. Les conséquences du nucléaire, absolument cataclysmiques et désastreuses, sont pourtant connues parce qu’observées et documentées à la suite d’Hiroshima et Nagasaki. Il faut une moyenne de 24 000 ans à la radioactivité déclenchée pour disparaître. Avec des particules microscopiques relâchées dans l’air au profit du vent, des nuages radioactifs atteignent toute l’Afrique de l’ouest. C’est une véritable hécatombe. Mais, à toute force, rien n’entrave l’entêtement français hélas, pas même l’indépendance algérienne de 1962. Par contre, un incident fait vite changer la donne et pousse la France à déguerpir à l’allure d’un sauve-qui-peut.

L’essai de Béryl, nom de code de la deuxième explosion nucléaire souterraine, le 1er mai 1962 à In Ecker, tourne à la catastrophe. En effet, tout était prévu pour qu’il soit confiné à l’intérieur de galeries creusées dans la montagne, mais un défaut de confinement conduit à libérer des éléments radioactifs. Une centaine de personnes venus assister à ce tir très médiatique sont exposés à une forte dose de radioactivité, dont Pierre Messmer, alors ministre des Armées, et Gaston Palewski, ministre de la Recherche scientifique. La puissance de la bombe, bien plus que prévue, entraîne la débandade. Des nuages radioactifs provoqués par l’explosion arrivent jusqu’à la Méditerranée, aux portes de la France. Pour éloigner la menace, la France débarque donc en Calédonie où 193 bombes nucléaires s’y feront exploser.

Dès le 1er tir, des répercussions ont lieu sur la population locale. La France choisit de n’évacuer personne. Comme à l’accoutumée, les raisons sont politiques. Elle va sciemment et méthodiquement manœuvrer afin de mettre le peuple Kanak en minorité démographique afin qu’il ne puisse jamais obtenir l’indépendance. Elle ne s’imagine pas abandonner ce trésor de 25 % du nickel mondial, métal très demandé qui rend l’acier inoxydable. Ce positionnement crucial lui confère une notoriété dans la zone indo-pacifique contrôlée par le concurrent chinois et les Australiens. Ces 1,4 million de km2 lui octroient également le 2e plus grand espace maritime du monde. Du droit international, toutes les eaux situées dans un rayon de 200 km des côtes insulaires, dénommé zone économique exclusive (ZEE), vous appartiennent. De ces territoires, Nouvelle-Calédonie et Polynésie française, la France d’à peine 543 000 km2, possède en tout une zone maritime de 10 186 624 km2, un avantage considérable.

Ainsi, elle a beau mettre un terme au régime de l’indigénat, et faire de la Nouvelle-Calédonie son territoire, les Kanaks ne veulent que leur indépendance. L’obstination de la France va mener à une quasi-guerre civile, dénommée “les événements” dans les années 80. Des accords de paix s’ensuivront, les fameux accords de Matignon puis de Nouméa en 1998. Ils promettaient aux Kanaks un processus de décolonisation suivi d’une pleine autonomie et surtout un vote pour l’indépendance par référendum, le véritable cœur du problème actuel. Le concept de base était simple : le peuple calédonien avait droit à 3 référendums, 3 chances pour obtenir l’indépendance. Ce droit de vote aurait dû être donné uniquement aux Kanaks, les colonisés qui demandent la décolonisation, et l’indépendance. C’est l’application légale du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes. Seulement, dans un tour de passe-passe, le vote se voit élargi aux résidents non-kanaks et travailleurs internationaux, globalement contre l’indépendance. Conséquemment, depuis plusieurs jours, les Kanaks mènent une énième révolte anticoloniale suite à la décision du gouvernement de Macron de soumettre à l’assemblée cette réforme constitutionnelle. Le feu est d’emblée mis aux poudres. Les indépendantistes ont en face d’eux des forces de l’ordre de la métropole, mais surtout une milice civile, ultra armée et régulièrement ravitaillée. La population originelle de l’archipel se fait tirer dessus à bout portant.

La mise en minorité démographique voulue et organisée comme l’atteste la lettre du 1er ministre français Pierre Messmer, envoyée à son secrétaire d’État aux Dom-Tom en 1972, est actée depuis belle lurette. Les Kanaks vont passer de 96 % de la population sur l’île à l’arrivée de Napoléon III, à 63 %. C’est le début de la fin. La tendance n’a fait que s’accentuer. En 2014, ils ne représentaient plus que 39 %. Pour compenser ce déséquilibre démographique, des corps électoraux spécifiques sont donc créés. Seulement, aux premières discussions officielles sur l’autodétermination en 1983, les Kanaks feront naïvement preuve d’honnêteté en reconnaissant que les “victimes de l’Histoire”, ceux contraints de s’y installer par l’administration coloniale, fassent également partie du corps électoral. L’État saisit l’aubaine et falsifie la déclaration finale en avançant que le droit à l’autodétermination doit être ouvert à tout le monde. Ce faisant, il a imposé dans le corps électoral la colonie de peuplement qu’il a lui-même organisée.

Cette décision soudaine, d’élargir ce droit de vote, minorise les voix des Kanaks et éteint définitivement le mouvement indépendantiste. Elle sera votée par l’Assemblée nationale avec un relent de non-respect des accords antérieurs. Au-dessus de tout, Macron court-circuite le 3e référendum, le dernier et le plus décisif qui devrait se tenir en 2022. Mais son gouvernement décide de l’avancer en 2021, en pleine crise covid. Le taux d’abstention a été révélateur entraînant le refus à l’indépendance majoré à 96 %, après un refus de report. Malgré l’illégitimité de ce résultat, la Nouvelle Calédonie restera donc française. C’est dans ce contexte qu’a débuté cette nouvelle vague d’affrontements. Des centaines de blessés et plusieurs morts jonchent désormais l’île. L’implosion de la Nouvelle-Calédonie si l’on n’y prend garde, deviendrait une autre tare humanitaire aux mains de la France. Ses médias parlent de haine anti-blanc, de guerre anti-blanc voire clash des civilisations, mais jamais de revendication d’indépendance.

Ces éternels soubresauts rappellent ceux du Proche-Orient ! Il y a toute une similitude entre les conflits calédonien et israelo-palestinien. La Kanaky se fait appeler Nouvelle-Calédonie, idem pour la Palestine qu’on appelle Israël. Le colon use de tout pour se faire passer pour la victime. Il paraitrait que les Kanaks sont des racistes, que cette crise est manifestation d’un racisme anti-blanc et qu’il y a une chasse aux blancs. C’est le même prétexte incongru qu’utilise Israël, où est évoqué le concept de la haine du Juif, une absurdité manifeste. Enfin, l’imposteur agit comme si les institutions internationales n’existaient pas. De la même manière qu’Israël ignore les résolutions de l’ONU vis à vis de la Palestine, la France ne fait pas mieux avec l’ONU ayant statué en faveur de la Kanaky comme étant un territoire à décoloniser. Bafouer le droit international semble être une spécialité des colons, solidaires les uns des autres.

La France avait refusé de ratifier le traité du 22 janvier 2021, impliquant la prise en charge des victimes civiles. A contrario, il y aura prochainement un vote au congrès pour entériner définitivement cette réforme constitutionnelle, l’extension du droit de vote à tous. Faudrait-il s’attendre au pire, notamment l’implosion forte certaine de la Nouvelle-Calédonie ?

Kakou Nda

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