Edito/Monopole de la CIE : Ajustements tarifaires ou asphyxiassions arbitraires

3-6-2024 (AfrikMonde.com) Depuis 1990, la Compagnie ivoirienne d’électricité (CIE), filiale du groupe français Eranove, actif dans la gestion de services publics, liée à l’État de Côte d’Ivoire par une convention de concession de type affermage, est un des leaders de ce secteur sur le continent africain. Dotée d’un capital de 14 milliards de francs CFA, elle est en position dominante, sans rival au niveau local. Notons que cette dernière a pris le relais de l’ancienne compagnie nationale EECI (Energie Electrique de la Côte d’Ivoire), après que le pays fut confronté à des difficultés dans le secteur électrique suite à une sécheresse sans précédent en 1983.

D’énormes investissements ont été réalisés par le gouvernement afin de satisfaire la demande nationale d’électricité. Ainsi, le taux de couverture, le nombre de localités électrifiées/ nombre total de localités, initialement de 33% en 2011, est passé à 87%, pour plafonner en 2025 à 100%, selon les estimations.  Ces acquis structurels, grâce à une forte croissance économique depuis huit ans, ont permis d’exporter en 2020, 11% de sa production électrique via son réseau de 5 000 kilomètres de lignes à haute tension vers six pays voisins : Ghana, Togo, Bénin, Burkina Faso, Mali, Liberia ; et bientôt la Guinée. Au plan national, le taux d’accès à l’électricité, Population vivant dans des localités électrifiées/ Population totale, est d’environ 74 %.

Seulement, depuis quelques années, cette fierté nationale bat de l’aile. Le secteur connaît un déséquilibre financier, accentué par la pandémie à Covid-19 et la crise en Ukraine. Afin d’y remédier, les autorités ivoiriennes ont appliqué en juillet 2023, une “première” hausse tarifaire de 9,6 %. Cette augmentation ne concernait que 13 % des abonnés, répartis entre les professionnels des lignes à haute tension, les industriels et les consommateurs ayant une puissance de plus de 15 ampères. La grande majorité des consommateurs, ces 86% restants, avait été épargnée.

Nonobstant, en 1983 les charges combustibles utilisées pour la production d’électricité représentaient à cette époque 60% du chiffre d’affaires. Pour un déficit de près de 36 milliards de francs CFA, l’EECI avait été obligé de procéder à un délestage et une augmentation de 25% en moyenne des tarifs de l’électricité. Malheureusement, la persistance de ces graves difficultés aussi bien au plan institutionnel, technique que financier, rencontrées avaient rendu quasi impossible le financement des investissements par des emprunts internationaux et le règlement des dettes du secteur. La création de la CIE au détriment de l’EECI apportait une solution pérenne, avançait l’Etat de Côte d’Ivoire.

Arrive 2024, où on a encore recours à un ajustement de 27% sur les tarifs de l’électricité face à une perte d’exploitation alors estimée à 161 milliards de FCFA avant le premier ajustement de juillet 2023.

Conséquemment, pour rétablir un équilibre, sur proposition de l’Autorité nationale de régulation du secteur de l’électricité (ANARE-CI) et après analyse de la Commission consultative sur les tarifs d’électricité, le gouvernement a décidé à nouveau d’un ajustement de 10%, à l’ensemble des abonnés d’électricité, à compter du 1er janvier 2024.

Le prix moyen de vente de 79 FCFA/kWh passe désormais à 87 FCFA/kWh, pour un coût de revient moyen de 89 FCFA/kWh. Comment expliquer que le coût de revient, qui est supposé représenter la somme des coûts supportés pour la production et la distribution de l’électricité en Côte d’Ivoire soit inférieur aux coûts de ladite production et distribution ? Quel regard devrait-on porter sur ceux qui mènent ce type de politique qui affecte les plus défavorisés qui ne parviennent pas à subvenir à leurs besoins ? Ces nouveaux coûts ont un effet négatif sur le panier de la ménagère, ce qui ne va pas arranger les choses pour la plupart des gens, qui vivent dans une précarité notoire.

Après la crise de 2011, la CIE n’avait plus eu accès à certaines de ses zones d’exploitations. Si cette situation d’abus est depuis rentrée en ordre, il existe présentement des foyers “éclairés » qui paradoxalement ne reçoivent aucune facture au détriment de ceux qui s’efforcent d’être en règle et à jour. A Abobo par exemple, il y a un manque à gagner énorme dès lors où tous les appartements de la cité policière, au nombre de 400, ne reçoivent plus de facture depuis 2011. Certains fonctionnaires de la police nationale qui non seulement bénéficient de la prestation gratuite de logement dans ces bâtiments du patrimoine de l’Etat, se sont aussi mués en vendeurs de glaces. Du jour au lendemain, les façades de leur logement arborent de nombreuses unités extérieures de climatiseurs. Pour eux, à l’abri de tout contrôle leur consommation est en roue libre. Tout leur est permis à partir du moment où ils ne payent rien.

Ces récentes augmentations des tarifs de la CIE dénotent le malsain monopole d’une entreprise qui, comme dans les années 90 avec l’EECI, ne s’est pas projetée sur le long terme et le manque de contrôle et de rigueur vis-à-vis des entités responsables en amont de la production d’électricité.

Dans les clauses du contrat liant la CIE à l’État de Côte d’Ivoire, il est mentionné “convention de concession de type affermage”. Qui dit affermage, dit contrat par lequel le délégataire s’engage à gérer un service public, à ses risques et périls, contre une rémunération versée par les usagers, pour l’exploitation des ouvrages de production, de transport et de distribution, de commercialisation, d’importation et d’exportation d’énergie électrique dans ce cas de figure. Il est ici question de risques et périls liés à la CIE, qui a accepté en signant cette convention de subir toutes les conséquences néfastes qui découlent de son action ou inaction, et non à la population qui a toujours respecté sa part du contrat en réglant à temps ses factures. On ne change pas les règles du jeu au cours du match.

Les causes du déficit de production d’électricité sont connues. Dès 1983, il avait été démontré qu’elles étaient liées à plusieurs facteurs notamment la baisse des capacités de production thermique causée par le manque de gaz naturel. L’utilisation maximale de la puissance installée. La baisse des capacités de production hydraulique due au manque d’eau dans les barrages facteur de mauvaise pluviométrie ; le retard de réalisation des investissements de production (construction de barrages et de centrales hydroélectriques). L’augmentation de la consommation nationale.

En 1990 comme en 2024, la CIE, quelque peu éberluée, opte pour la solution la plus simple : faire supporter aux contribuables les conséquences. Riches comme pauvres, en Côte d’Ivoire, nul ne semble épargné. Les propos d’Alpha Blondy au sujet de sa facture CIE : « ils me facturent aussi la lumière du soleil », par exemple, en disent long sur l’impact de ces hausses tarifaires. Notons qu’Alapha Blondy est un chanteur auteur-compositeur et musicien reggae ivoirien de renommée planétaire, et un des plus emblématiques et influents d’Afrique.

Aujourd’hui, la production électrique est mise à mal à cause de générateurs mis à l’arrêt pour des travaux de remplacement et nettoyage de buses d’injection. Des problèmes sont aussi survenus suite à l’avarie de composantes électroniques. Des centrales électriques sont obligées de réduire leur charge de travail en raison du manque d’approvisionnement en combustible lié à des problèmes avec des livraisons de navires pétroliers. Il est aussi évoqué des perturbations sur le réseau. Une baisse de la capacité de production de gaz naturel de PETROCI suite à des dysfonctionnements d’équipements.

Ceci, entraînant cela, les conséquences du déficit de production ne se feront pas attendre. Au niveau de la consommation nationale, c’est l’incapacité à satisfaire la totalité de la demande. Les abonnés, impuissants, font face à de nombreux délestages et, bien assurément, à des augmentations arbitraires du coût de l’électricité.

On se souvient de la joie qu’avait procuré le sacre continental des Eléphants footballeurs, invitant l’Etat à leur offrir, bien qu’ils soient largement au-dessus de l’aisance financière, la bagatelle somme de plus de 300 millions de francs CFA. Fort heureusement, une année d’élection arrive. La ferveur qui s’y dégage redonne du baume au cœur à l’électorat. Celui-là même au premier rang manifestement affecté par ces augmentations de la CIE et bien en deçà du seuil de pauvreté. Majoritairement acquis à la cause d’un autre mandat.

Ce peuple sait qu’en année d’élection, la clémence des dirigeants renaît à nouveau. On se rappelle aussi lors de l’inauguration du 5e pont d’Abidjan, premier à haubans du pays, reliant les communes de Cocody et du Plateau, le chef de l’État déclarait avec une pointe d’ironie, que la réalisation de cet ouvrage qui porte son nom, pourrait lui faire mériter plusieurs mandats. En effet, pour cinq autres années de plus, le président de la République pourrait faire preuve de miséricorde envers ses concitoyens et user du budget de souveraineté s’élevant à 342,6 milliards de francs CFA pour apporter une bouée d’oxygène à ceux qui en ont le plus besoin. Il pourra puiser à sa guise et dans une discrétion absolue sans aucun contrôle ni regard d’aucune institution ou opposition dans cette enveloppe budgétaire. Le contribuable n’a pas besoin qu’il lui soit rendu compte. Il a juste besoin que ces fonds publics l’aide à sortir un peu la tête de l’eau.

Kakou Nda

AfrikMonde.com