Edito : Après Yves Roland-Billecart à Air Afrique, les décisions d’un autre médecin mortuaire menacent le Port autonome d’Abidjan

« Vous êtes notre médecin, je vous confie notre aviation », déclarait feu le Président Félix Houphouët-Boigny, lors de sa première rencontre avec l’ancien Inspecteur des finances, feu Yves Roland-Billecart, prenant les commandes d’Air Afrique. Une quarantaine d’années après que le natif de Paris ait obtenu une licence de droit et un diplôme de sciences-po, il est parachuté à l’orée de la retraite en 1989, à la tête de cette compagnie aérienne, constituée en 1961 de onze Etats africains francophones autour d’un projet commun. Autrefois fierté, elle a connu une fin tragique, abattue du dernier coup de hache du médecin Yves Roland-Billecart.

Lorsque le 25 avril 2002, le tribunal de commerce d’Abidjan prononce la liquidation judiciaire d’Air Afrique, ce dépôt de bilan est tout sauf une surprise. Outre le manque de moyens, une gestion parfois erratique, l’absence de volonté politique commune et la dévaluation du franc CFA de 1994, jouent un rôle indéniable dans la chute du pavillon panafricain.

Mais le coup de grâce est porté par Yves Roland-Billecart, qui guide cette entité étatique droit dans le mur avec son plan, mais surtout son clan, une cohorte de copains français, dits experts, pour qui tout avait été permis à la tête de la compagnie qui attendait d’être sauvée. Ils étaient en vacances avant la retraite avec leur train de vie insoutenable par cette même société déjà au bord de la faillite.

2023 arrive et bis repetita, au Port Autonome d’Abidjan (PAA) ! Après avoir quitté les armées, le général Didier Castres créa un cabinet de conseil dans le domaine des stratégies de défense et de sécurité nationale avant d’être nommé président de la société Géos Groupe ADIT. Entre-temps, il est parachuté à la tête de la sécurité du port d’Abidjan. Auditionné devant la commission de la défense de l’Assemblée nationale française, le 7 février 2024, il affirme : “ GEOS depuis décembre 2023 assure la gestion complète du Port d’Abidjan ”.

Si le port d’Abidjan n’a pas besoin d’être sauvé, fort de son bilan de 2023 en hausse, nettement au-dessus de celui des années précédentes. Que vient donc faire ce nouveau médecin dans l’arène d’un secteur en nette progression, aussi capital à l’Etat de Côte d’Ivoire ? Ne dit-on pas qu’on ne change pas une équipe qui gagne ? Ces bons résultats ont été impulsés notamment par la mise en exploitation du second terminal à conteneurs. Alors, pourquoi le récent communiqué du port d’Abidjan fait-il état de l’augmentation des tarifs de dédouanement pour justement améliorer ses infrastructures, passant de 15000 XOF/tonne à 150 000 Fcfa pour certains véhicules ? La logique voudrait que les profits engrangés y participent.

Aussi, dans des délais et proportions non-raisonnables, imputer une aussi flagrante augmentation aux usagers est irrationnel. Dès lors, des questionnements fusent de partout. Certains avancent que ce bond de 900%, donc au-delà du seuil de 300% de bénéfice, est en porte-à-faux vis-à-vis de la loi. En commerce, c’est de l’usure, condamnable. On ne s’arrêtera pas là, dans cette ambiance de stabilité et de progression, cette hausse présage un certain malaise financier, renchérit la critique. Le retrait progressif des Etats de l’AES du trafic portuaire, à la surprise de tous, fait baisser les chiffres. Les comptes frôlant le rouge, il faut urgemment trouver un moyen pour renflouer les caisses.

Il est aussi noté que derrière les restrictions sur l’importation de véhicules d’occasion, une retient l’attention : ces mesures qui visent à soutenir l’industrie automobile locale. Mais la Côte d’Ivoire n’a pas d’usine automobile. S’inspirant de l’implémentation de la norme Euro VI, où sont passibles de sanction ou de restriction, ces constructeurs automobiles qui n’intégreront pas des technologies avancées pour réduire les émissions de gaz de certains véhicules diesel en Europe.

Du copier-coller hors contexte dans un pays africain qui ne produit pas de véhicules. Les constructeurs chinois seraient dans l’œil du cyclone. Avec eux, les Ivoiriens ont désormais la possibilité d’avoir des véhicules d’un certain standing à moindre coût au détriment des marques européennes. Ce manque à gagner ne fait pas bonne presse à Bruxelles, capitale de l’Union Européenne.

Il n’est vain de remarquer qu’une des conditionnalités du prêt de 3,5 milliards de dollars US du FMI octroyé en mai 2023 était que l’Etat ivoirien augmente les taxes et impôts. Sommes-nous dans la phase d’exécution du diktat du Fonds Monétaire International ?

De cette situation, une boîte de Pandore s’est ouverte forçant le PAA à réagir et rassurer.

Il a donc protesté officiellement auprès de la filiale locale de GEOS et a informé le Ministère des Transports de la situation. L’autorité portuaire rassure donc les Ivoiriens et l’opinion publique que : ne pouvant financer ces investissements sur fonds propres, le PAA a signé en 2012 une convention avec la société Portsécurité pour financer, réaliser et exploiter le système de sûreté du port. Après renégociations, une nouvelle convention a été signée le 19 décembre 2023 avec Ivoire Sûreté Portuaire (ISP), représentant du Groupe GEOS en Côte d’Ivoire. Cette convention, approuvée par décret en Conseil des Ministres le 22 mai 2024, couvre les mêmes objectifs que l’accord précédent. Par conséquent, le PAA rejette les déclarations de Didier Castres et réaffirme son engagement à maintenir des standards de sécurité élevés et une gestion transparente, par la voix de son Directeur Général Hien Sié Yacouba.

Le général Didier Castres est-il passible de sanction pour propos diffamatoire ? En 2011 selon lui, en sa qualité de Commandant des forces Licorne sur le théâtre ivoirien, il y a bel et bien eu une stratégie française quant au renversement du pouvoir en Côte d’Ivoire. Les résultats des élections ayant été refusés, l’ordre, confirmé par les Nations Unies, de mettre fin aux massacres, avait été donné. « Des hélicoptères Gazelles en action, ont détruit toutes les capacités militaires du camp adverse pendant quelques nuits. Tout a été détruit pour permettre aux forces du nord d’instaurer une certaine légitimité. »

Il affirme avoir donné l’ordre aux soldats français opérant en Côte d’Ivoire, d’y aller à pied, fouiller tous les carrefours et toutes les rues, afin que l’ennemi capitule. « Cela a été une mission extrêmement exigeante, parce qu’il était hors de question que l’armée française tourne le dos, fasse demi-tour à une bande de mecs en claquettes, dira-t-il ! « Déjà 3 à 4 nuits que je n’avais pas dormi en regardant un peu tout ce cinéma-là. Je suis rentré chez moi, prendre une douche et dormir deux heures… Ai-je pris la bonne décision, que suis-je en train de faire courir aux soldats français ? Mon Dieu aide-moi, pardonne-moi ! “Finalement, pas un soldat n’avait été blessé, la mission a été un succès, il a été fait prisonnier… »

Le succès de sa mission en Côte d’Ivoire, serait-il le tremplin qui va le parachuter à la tête de GEOS au port d’Abidjan ? Ce prestataire de sécurité privée plein de zèle, semble divaguer et tient des propos diffamatoires selon le démenti du Port Autonome d’Abidjan. Ses hélicoptères ayant tout détruit et semé des homicides, nous avons plutôt affaire à un marchand de la mort en territoire conquis qui vient se faire payer pour service rendu, dit la rue. Sa place serait à la tête d’IVOSEP…

La leçon de la disparition d’Air Afrique n’a pas été tirée. C’est pourtant un événement marquant qui a laissé des traces profondes en Côte d’Ivoire notamment dans l’histoire de l’aviation africaine. Elle devrait enseigner l’importance d’une bonne gouvernance, d’une gestion rigoureuse et d’une adaptation aux évolutions du marché.

Ces experts venus d’ailleurs ne sont pas infaillibles, nous avons assez de matière grise pour mener à bien notre continent. Un nom : Sabri Lamouchi, le sélectionneur des Eléphants, est un autre exemple. Il était un des mieux rémunérés du continent, alors qu’il avait été parachuté de stagiaire au-devant du football ivoirien, sans expérience, sans toutefois avoir achevé sa formation d’entraîneur et bien sûr sans impact positif sur le sport roi de chez nous.

Emerse Faé prouve qu’on devrait se faire confiance premièrement. Il fait déjà mieux que tous ses prédécesseurs venus d’ailleurs. L’exemple du football parmi tant d’autres, est révélateur. Ses médecins parachutés n’ont jamais œuvré pour nos intérêts, mais plutôt les leurs. J’entends dire : à bon entendeur, le salut !

Kakou Nda 

ndakakou@gmail.com