Interview/Yannick Jéhanno (Ancien légionnaire français) : ‘’L’Etat français a fait porter les armes à ses soldats et a engagé ses troupes pour des buts inavouables’’

10-5-2021 (AfrikMonde) Ancien légionnaire français, Yannick Jéhanno a choisi de s’établir en Polynésie, après son service militaire. Dans son département d’accueil, il est très critique contre des méthodes de la métropole qu’il qualifie d’injustes contre les Polynésiens. Dans cette interview exclusive, il lève un coin du voile sur ses griefs contre l’Etat français et le groupe énergétique Engie qu’il accuse de maintenir le peuple polynésien dans la précarité.

 Vous êtes Français et ancien légionnaire, cependant vos prises de position sont toujours le contre-pied des dirigeants français. Ne craignez-vous pas des représailles de la métropole, quand vous vous en prenez directement au Ministre des Outre-mer ?

Je ne crains pas de représailles, tant que mon combat est juste. Je ne fais que dénoncer et mettre en exergue ce que tout le monde sait : la corruption qui gangrène la Polynésie, les inégalités sociales, la pénurie d’emploi, le manque de développement, la disparité entre Français de la métropole et Français de la Polynésie. Les représailles se sont les hordes de faux profils et de fake news lancés sur moi, à travers les réseaux sociaux, afin de tuer toute volonté d’émancipation chez les nombreux Polynésiens. Evidemment, cette volonté a pour but de les empêcher de se lancer dans l’action et le combat pour leur éveil.

Quel est le sentiment qui vous a habité avec notamment l’audition, début avril, du ministre Sébastien Lecornu en tant que suspect libre pour des soupçons de « prise illégale d’intérêt », lorsqu’il présidait le département de l’Eure en même temps qu’il était administrateur d’une société d’autoroute ?

Il est comme toute la classe politique macronienne. Il est aussi porteur d’une grande tradition de corruption et d’enrichissement des politiques français. On ne peut rien en penser de plus. Et c’est avec cette politique de corruption, d’affaires occultes, de passe-droit, d’impunité que la France a colonisé l’Afrique et les outre-mer. C’est malheureusement cet héritage politique que la France a laissé avec les conséquences tragiques que nous connaissons sur le développement des colonies et l’enrichissement d’une petite nomenclatura.

Pourriez-vous nous éclairer davantage sur vos griefs contre la multinationale énergétique Engie ?

La société Engie use en Polynésie de menaces, de chantage et de corruption, afin de maintenir des marges au-delà du raisonnable et de renouveler ses contrats de fournitures d’électricité. Nous avons les témoignages des personnes qui ont été menacées ou que la multinationale a fait chanter. Nous avons même un courrier officiel d’un ministre de l’Energie qui demande à monsieur Gérald Mestrallet (Ndlr : PDG de Engie) de faire cesser les pratiques mafieuses de sa filiale en Polynésie. Un courrier audacieux qui n’est pas toujours courant. Malheureusement, ces pratiques ont perduré. Ce qui devient maintenant une affaire d’Etat, c’est que les magistrats informés de ces pratiques ne se sont pas auto-saisi comme cela se fait dans n’importe quel Etat moderne et qui aspire à la bonne gouvernance. Voyez-vous, deux magistrats ont, par deux fois, rejeté les plaintes avec des motifs aussi ridicules que fallacieux. Pour comprendre ce déni de justice, Il faut rappeler ici que l’actionnaire majoritaire d’Engie est l’Etat et que la France est régulièrement condamnée pour la dépendance du Parquet. On ne touche pas aux intérêts de l’Etat. A cet égard, il faut reconnaître que Monsieur Emmanuel  Macron, le président de la moralisation de la vie politique, nous a menti.

Pensez-vous que la Polynésie, en tant que territoire français d’outre-mer, est logée à la même enseigne que les territoires de l’Hexagone, en termes de développement ?

Comme toutes les colonies, la Polynésie est laissée dans un état de sous-développement. Alors que nous sommes au XXIe siècle, la situation n’est pas la même qu’il y a cent ans. Le simple fait d’avoir de l’eau potable à son robinet en Polynésie relève d’un parcours de combattant. Rares sont ceux qui ont de l’eau potable. La Polynésie vit en grande partie des fonds de l’Etat. Ce qui arrange bien ! D’autant plus qu’il lui permet de ne pas voir la Polynésie se développer. La Polynésie survit ainsi grâce à l’argent de l’Etat qui n’est pas un cadeau, mais plutôt injecté sous forme de prêts. Il est regrettable que le colon s’empare d’un territoire, pille ses richesses, l’endette et devient à partir de ce territoire, la deuxième puissance maritime du monde. A cette allure, il est clair que le colon ne fera jamais rien pour permettre à ce territoire de se développer et prendre son autonomie. J’appelle cela un crime économique contre l’humanité.

Quel est le regard du Polynésien lambda sur vos prises de position contre la métropole ?

L’incompréhension, pourquoi un Farani (Français) vient ouvrir sa bouche contre la métropole et ses intérêts, alors « qu’on vit au paradis » c’est l’image que la France renvoie aux Polynésiens. Maintenant, je crois que les Polynésiens, dans leur grande majorité, sont habitués et me connaissent avec mes qualités, mes défauts, mais surtout connaissent la couleur de mon cœur rouge blanc rouge. Après c’est toujours pareil, il y a ceux qui se lassent, et comment ne pas les comprendre ! C’est la politique des corrupteurs et des corrompus, surtout quand ils sont soutenus par la justice. Les bandits à col blanc comptent sur la lassitude du peuple, une partie se lasse en effet, mais grâce aux adhérents au groupe contre l’injustice en Polynésie, les participations augmentent et c’est une fierté pour moi mais surtout pour ce peuple.

Etes-vous d’avis avec les peuples des anciennes colonies qui pointent un doigt vers la France, l’accusant de vouloir les maintenir dans la précarité, en vue de mieux exploiter leurs ressources naturelles ?

Oui, la politique de disette de la France organisée avec ses supplétifs locaux, notamment les chefs de gouvernement corrompus et connus, il est de notoriété publique que des multinationales occidentales entretiennent des conflits armés, afin d’exploiter au meilleur prix les ressources naturelles africaines. L’Etat français organise cela, entretient cela. Il entretient volontairement le sous-développement de l’Afrique avec minutie et cynisme. En tant qu’ancien militaire qui a voyagé sur les cinq continents, je pense qu’il faut foutre un coup de pied au cul à ces colons hypocrites et cyniques. Il n’y a pas de traité international de convention signé, surtout entre un despote mis en place par le colon et le colon qui l’entretient. Il n’est pas question de faire de grand discours, l’Etat français a colonisé par la ruse et la force des pays. Mieux, l’Etat français contribue au fort endettement de ses ex-colonies. C’est vous dire à quel point le colon est fourbe, il maintient, grâce à des accords scélérats signés avec les supplétifs qu’il a mis en place, il entretient la disette, la précarité et le sous-développement. 

Il n’y a aucun accord qui tienne ! Il n’y a aucune dette qui puisse tenir! Le fait est qu’en maintenant les peuples dans la disette, ils sont plus facilement soumis à la manipulation, de sorte que ceux-ci ne découvrent pas leur supercherie.

En tant qu’ancien légionnaire n’avez-vous pas le sentiment d’avoir contribué à asseoir cette politique de défense des intérêts français dans les anciennes colonies ?

L’Etat français a fait porter les armes à ses soldats pour de mauvaises raisons, à engager ses troupes pour des buts inavouables. Evidemment, ceux qui en subissent les conséquences sont ces soldats qui croient au caractère sacré de leur mission et qui croient au bien fondé de leurs actions. Je regrette m’être mis au service d’une entreprise d’irradiation de la Polynésie, d’avoir porté les armes pour des causes obscures, d’avoir été le bras armé d’une politique mercantile. Car, en face des canons de fusil, combien d’innocents, combien de personnes ont subi des répressions sanglantes des groupes armés violents illégitimes et tortionnaires que l’Etat soutient ? Porter une arme n’est pas une chose innocente, elle implique la volonté par la force. Au Rwanda, de manière certaine, le trouffion a contre sa connaissance, permit un crime contre l’humanité. En Polynésie, il a, contre sa volonté, participé au meurtre d’innocentes personnes. C’est à l’Etat qui a utilisé la ruse et le mensonge auprès des populations civiles et notre force armée, qu’il appartient de s’excuser et de réparer sans tarder ses erreurs et ses mensonges, parce que nous savons désormais la vérité et nous pourrions nous-mêmes demander des comptes.

Réalisée par Ephraïm Aboubacar

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