Edito : Susciter la peur pour gouverner, telle est l’inquiétude de l’alinéa 2 de l’article 185 nouveau du code pénal en Côte d’Ivoire

22-7-2024 (AfrikMonde.com) Selon H. L. Mencken, journaliste, écrivain, célèbre critique de la culture américaine, « le but de la politique est de garder la population inquiète et donc en demande d’être mise en sécurité, en la menaçant d’une série ininterrompue de monstres, tous étant imaginaires »

En effet, l’origine de la politique de la peur remonte à l’antiquité, où des dirigeants comme Néron et Caligula utilisaient la terreur et la violence pour réprimer l’opposition et maintenir leur contrôle du pouvoir. L’utilisation de la peur comme outil de gouvernance est donc un phénomène qui existe depuis des siècles et qui a été utilisé par de nombreuses civilisations et différents dirigeants. Cette approche, à effet dissuasif, a également été utilisée par des leaders religieux et des mouvements sociaux pour mobiliser leurs partisans et faire avancer leurs agendas.

Plus récemment, la politique de la peur est devenue une caractéristique dominante de la politique mondiale, avec des dirigeants comme Donald Trump, Recep Tayyip Erdoğan ou Viktor Orbán, utilisant des discours et des tactiques sensationnalistes pour semer la division et consolider leur pouvoir. Ce qui renvoie à un système politique autoritaire qui associe populisme, nationalisme et totalitarisme au nom d’un idéal collectif suprême : voici défini le fascisme. Sur le vieux continent, l’avancée de l’extrême droite ne fait que matérialiser davantage cette notion.

En Côte d’Ivoire, une disposition controversée du code pénal ivoirien s’inscrit dans cet ordre et fait naturellement l’objet de vives contestations. L’article 185 nouveau du code pénal voté à la majorité par les députés RHDP, lors d’une séance plénière à l’Assemblée nationale, criminalise la diffusion de fausses informations ou de propagande mensongère susceptible de porter atteinte à l’ordre public. Elle pose un sérieux problème en son alinéa 2 pour les députés de l’opposition qui la jugent liberticide, susceptible de mettre à mal la liberté d’expression. Elle sera néanmoins adoptée en raison de la majorité mécanique du RHDP à l’hémicycle.

Forte de ses acquis, la machine étatique ivoirienne, par le biais de son muscle juridique, avec des peines pouvant aller jusqu’à 20 ans de prison et 10 millions de francs CFA d’amende, suscite la peur au sein de l’opposition. Brandir une épée de Damoclès sur une frange de sa population afin de rendre l’adoption de lois sécuritaires plus facile pour la gouverner. En limitant ainsi la liberté individuelle, l’État espère pouvoir assurer son maintien. En échange d’une sécurité hypothétique, les citoyens sont contraints de renoncer progressivement à leurs libertés.

La critique ici, tout comme à l’international, affirme que l’article 185 anciennement article 175, est une arme de musellement de l’opposition et de la liberté d’expression. L’on redoute que cette loi soit utilisée pour réduire au silence les voix dissidentes et étouffer les débats critiques. L’élu indépendant Antoine Tiémoko Assalé qui incarne une alternative gênante, vient à l’esprit. Mais il n’y a pas que lui…

D’autant plus que les points de discorde portent entre autres sur le manque de définition explicite. La loi ne définit pas clairement ce qui constitue une « fausse information » ou une « propagande mensongère », laissant la place à une interprétation large et subjective par les autorités. Cet article en criminalisant des formes d’expression légitimes, telle que la critique du gouvernement ou la diffusion d’informations d’intérêt public, sous prétexte de lutter contre les fausses informations, porte atteinte à la liberté d’expression.

Il est évident que la crainte de poursuites pénales va dissuader les journalistes, les militants de la société civile et les citoyens ordinaires de s’exprimer librement, en particulier sur des sujets sensibles.

Des organisations de défense des droits de l’homme et de la liberté d’expression ont appelé à l’abrogation de cette loi, bien que le gouvernement ivoirien défend sa nécessité pour maintenir l’ordre public au-delà de 2024, année préélectorale. Entre pros et cons d’opinion publique divisée, chacun tire la couverture de son côté. L’opposition parle de régression et de défense d’acquis démocratiques obtenus au prix de lourds sacrifices. Certains évoquent même la notion de dérive autoritaire.

La restriction des libertés publiques, libertés d’expression et de manifestation, et des droits fondamentaux des citoyens sont pourtant ces piliers essentiels de toute démocratie. Il est important de noter que l’utilisation de la peur pour gouverner n’est pas toujours efficace et peut avoir des conséquences néfastes à long terme.

La peur peut conduire à la colère, au ressentiment et à la violence, et elle peut éroder la confiance dans les institutions et les processus démocratiques. Face aux dangers de cette approche, nos jeunes nations ont tout à gagner en travaillant à plutôt promouvoir des formes de gouvernance plus justes, inclusives et équitables.

Par Kakou Nda

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