Edito/De la destruction créatrice des grèves

21-10-2024 (AfrikMonde.com) “Parfois, tout doit s’effondrer pour trouver sa véritable fondation ”. Grever, c’est effondrer le statu quo afin de trouver en de nouveaux socles, sa véritable fondation ! Dans un Etat de droit, la grève reste un moyen de pression puissant pour faire valoir des revendications. En cessant le travail, les grévistes peuvent perturber les activités économiques et sociales, qui en retour auront un impact significatif sur le fonctionnement de la société, conséquemment, sur l’image du Gouvernement. L’efficacité de la grève, due à la pression médiatique, les coûts économiques, les mobilisations sociales et parce que reconnue par la loi, peut effectivement forcer la main de l’Etat à redistribuer les cartes.

Ainsi, des revendications salariales, aux conditions de travail, de la dénonciation de réformes à la défense de droits sociaux, dans un contexte politique assez délicat, les enseignants du primaire et du secondaire, tout comme les agents de la santé et des affaires sociales, ont observé un arrêt de travail sur toute l’étendue du territoire ivoirien.

Le serment d’Hippocrate, même s’il n’a pas de valeur juridique, bien que considéré comme l’un des textes fondateurs de la déontologie médicale, est-il imputable, au personnel de santé, déjà qu’un des syndicats des médecins est solidaire de leur grève ? Il semble vivre une situation difficile.

Situation qui l’amène à déposer un préavis de grève évoquant spécifiquement le souhait, en lieu et place de la prime annuelle, d’une prime d’incitation alors payable trimestriellement comme dans certains ministères. De 2000 à 50 000 FCFA de prime de motivation, les agents de santé sollicitent plutôt une prime adossée au budget de l’Etat et alignée sur ce qui se fait dans bien d’autres domaines notamment celui des impôts. Ce bonus trimestriel varierait entre 180 000 FCFA pour ceux de la catégorie D, la plus basse, à 400 000 FCFA pour les catégories supérieures.

Seulement, la déclaration de Genève, également intitulée Serment du médecin : “Au moment d’être admis(e) à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux ”, adoptée par l’Assemblée Générale de l’Association médicale mondiale en 1948, figure en annexe du code de déontologie médicale.

Proche du Serment d’Hippocrate, elle stipule qu’en leur qualité de membres de la profession médicale, les agents de la santé devraient prendre l’engagement solennel de consacrer leur vie au service de l’humanité ; considérant la santé et le bien-être de leur patient comme leur priorité.

Ils se défendent par la mise en avant de l’observation d’un suivi médical tout de même observé dans les hôpitaux ivoiriens depuis le lancement de leur mouvement de grève. C’est à croire, contrainte obligeant, que leur condition de travail ne leur permet pas de faire de la santé des malades, leur premier souci.

Du côté de l’enseignement, les grévistes revendiquent également “ l’octroi d’une prime d’incitation aux personnels enseignants et éducatifs, la promotion des emplois de Maître d’Education Spécialisée et des Éducateurs spécialisés par la refonte des curricula de formation et du profil de carrière de l’Education Spécialisée; l’organisation du concours professionnel des Éducateurs Préscolaires Adjoints et des Maîtresses Adjointes d’Education Permanente dans le modèle de la formation en classe sans aller en formation à l’école ”. À cela, ils réclament aussi le “Concours Professionnel exceptionnel Dérogatoire des Inspecteurs d’Éducation Préscolaire et Primaire ”.

Selon les organisateurs, cette grève vise à revendiquer entre autres une prime pour les enseignants, une revalorisation salariale, des indemnités, d’allocations familiales, le déblocage des avancements avec effets immédiats. “ Nous réclamons une prime trimestrielle pour tous les enseignants. Nous réclamons 600 000 FCFA pour le plus petit grade et une augmentation de 50 000 FCFA par grade ”, affirme Etilé Aboh Frédéric, membre du bureau exécutif de l’Union nationale des Instituteurs pour le Changement (UNIC), dont le mouvement fait partie des organisations syndicales initiatrices de la grève. “Nous voulons que cela rentre en vigueur dès 2025, pour que le premier paiement s’effectue fin Mars 2025”, poursuit-t-il.

En face, les autorités qui ne partagent pas ces initiatives ont pris des dispositions pour permettre le déroulement normal des cours et le fonctionnement des centres de santé. Selon le porte-parole du Gouvernement, la grève des enseignants serait illégale et injustifiée, car ceux-ci n’auraient fourni aucun document qui clarifie ce que désigne réellement cette “prime d’incitation” ni le poids financier qu’elle exercerait sur le budget de l’État.

Pourtant, en 2017, sur fond de grogne sociale, le pays faisait face à une fronde de militaires réclamant des augmentations de salaires et des primes. Le sergent Sidick, porte-parole des mutins d’alors, déclarait qu’un accord trouvé avec le Gouvernement supposé classé “ secret défense ”, indiquait qu’ils avaient obtenu la pleine satisfaction de leurs revendications avec le paiement de 5 millions de FCFA réglés immédiatement et les 2 millions restants, ultérieurement.

En contrepartie, confronté en 2024 à la grève d’autres acteurs sans armes du tissu social, le Gouvernement ivoirien demande à ce que la liste des grévistes lui soit communiquée tout en revenant sur l’accord signé, le lundi 08 août 2022 à Abidjan avec les organisations syndicales de la Fonction Publique, portant trêve sociale sur la période 2022-2027, permettant à l’État d’œuvrer dans un environnement social stable.

Ici, le Gouvernement joue sur la corde de l’espoir en faisant l’annonce de nombreux projets à venir dans le domaine de la protection sociale, notamment, la retraite logement, l’assurance chômage, la retraite complémentaire dans le secteur privé et la branche accidents de travail et maladies professionnelles dans le secteur public et bien d’autres. La leçon à tirer : ces nouveaux grévistes devront, quant à eux, épouser la patience.

Si théoriquement, une grève peut être un outil puissant pour faire avancer des revendications sociales et/ou politiques, son efficacité dépend de nombreux facteurs. En pratique, ses conséquences tant pour les travailleurs que pour la société dans son ensemble, mentionnons les perturbations des services publics, les pertes économiques et d’éventuelles tensions sociales à la limite de la violence, devraient interpeller plus d’un sur le fragile équilibre entre stabilité et chaos du monde dans lequel nous vivons. Bien vrai qu’il faudrait briser la coquille de l’œuf pour l’omelette, tant ont été obtenus sans grève, dira l’autre.

À l’heure de la découverte d’importants sites miniers et bien d’autres, le pays affiche conséquemment une croissance économique robuste ces dernières années, le positionnant comme l’un des plus dynamiques d’Afrique de l’Ouest. Tout porte donc à croire qu’il sera à même de faire face à toutes les attentes et espoirs de ses enfants si la chose gouvernementale se fait dans l’équité, la transparence et la noblesse de l’art, du moment où dans le meilleur des mondes, tout saurait parvenir à qui sait attendre.

Kakou Nda

ndakakou@gmail.com