2-12-2024 (AfrikMonde.com) Haïti, terre de souffrance, de violence, de désespérance, n’en finit plus de payer au prix fort son indépendance apparemment : première république noire libre du temps des colons français en échange d’une rançon astronomique en or qui a, rappelons-le, ruiné la jeune nation, l’endettant comme pour l’empêcher de s’en sortir. Aujourd’hui, c’est un pays qui n’a plus d’état de droit. Les gangs criminels contrôlent désormais tout.
Des rackets tout azimut aux enlèvements, des assassinats à on ne sait quelles autres turpitudes, le pays s’enfonce dans une spirale toujours plus violente. Nous assistons impuissants à des trafics d’organes, des viols d’enfants, de femmes. Au bord d’une guerre civile, la population livrée à elle-même, s’entretue.
La réalité du quotidien du peuple Haïtien défie toute logique. C’est un peuple abandonné qui a pourtant beaucoup donné à l’humanité. Haïti a contribué au cheminement de l’art mondial à travers sa peinture, sa musique ou sa littérature, pour ne citer qu’eux. Néanmoins, cette humanité, de nos jours, défraye plutôt la chronique pour Gaza, Goma ou Odessa, tandis qu’Haïti se meurt à petit feu.
Haïti, à qui la France doit tant, a payé pendant 150 ans une dette considérable pour que lui soit reconnu l’indépendance, est aujourd’hui insulté… “ Franchement, ce sont les Haïtiens qui ont tué Haïti. Le Premier ministre était super. Je l’ai défendu. Ils l’ont viré. ” Le président français, Emmanuel Macron, sur un ton paternaliste, estime que les responsables d’Haïti sont “complètement cons” pour avoir limogé l’ex-Premier ministre Garry Conille.
Ces propos ont été tenus le 19 novembre 2024 à Rio de Janeiro – Brésil, en marge de la dix-neuvième réunion du Groupe des vingt (G20), s’agissant notamment du premier sommet complet avec l’Union Africaine en tant que membre. Macron en visite sur le quai de Valongo où étaient débarqués des Africains réduits en esclavage, voulait certainement apparaître comme un président qui s’intéresse à l’histoire et aux souffrances des afro Brésiliens.
De ce rapprochement de l’histoire noire de Rio, sur l’un des sites les plus importants de la mémoire de l’esclavage au Brésil, il est alors interpellé avec insistance par un Haïtien l’accusant “ d’être responsable de la situation ” de son pays. Évidemment, le Brésil n’est pas le seul pays à avoir pratiqué l’esclavage et en Haïti, la France en a fait autant, d’où sa responsabilité historique dans la crise haïtienne présente.
Il est établi, pendant un siècle, les Français ont réduit en esclavage des Africains en Haïti qui, à l’époque, s’appelle Saint-Domingue. C’est l’un des esclavages les plus massifs de l’histoire et Saint-Domingue est la colonie la plus rentable de l’empire français. En 1780, on y comptait environ 30 000 blancs pour 500 000 esclaves noirs. Des villes comme Bordeaux, La Rochelle voire Nantes en France, se sont enrichies grâce à ce qui s’y est fait.
De grandes fortunes françaises s’en sont constituées. Antoine Crozat, nous vient à l’esprit ! L’homme le plus riche de France à l’époque, y a bâti sa fortune. La construction du palais de l’Élysée, anciennement l’Élysée-Bourbon, où Emmanuel Macron passe la majeure partie de son temps, est un ancien hôtel particulier parisien qui a été bâti grâce à l’argent de l’esclavage.
En effet, pour s’assurer un train de vie en accord avec son rang, le comte d’Évreux qui a épousé la fille du richissime armateur négrier Antoine Crozat, va utiliser sa dot de 2 millions de livres pour financer la construction de cet hôtel. Le Toulousain Antoine Crozat doit sa fortune à la Compagnie de Guinée, qui avait pour mission d’acheminer du port de Nantes, le plus grand nombre possible d’esclaves noirs vers Saint-Domingue et de remplacer sur l’île, le tabac par le sucre. De cette manœuvre basée sur la traite négrière, Antoine Crozat s’ouvre les portes de l’aristocratie en mariant sa fille à Louis-Henri, comte d’Evreux. Sans cette fortune, donc sans la traite négrière, le palais de l’Élysée n’aurait sans doute pas vu le jour.
Mais alors, en 1791, les noirs de Saint-Domingue se révoltent. Ce qui va forcer la première République à abolir l’esclavage. Mais quelques années plus tard, Napoléon le rétablit alors que les autochtones veulent rester libres. Naturellement, ils résistent aux Français et déclarent leur indépendance en 1804. C’est la création d’Haïti. Cette toute première République noire pourrait bien devenir un modèle pour tout peuple sous le joug d’une quelconque domination. C’est un traumatisme pour les esclavagistes français qui craignent de perdre toutes leurs colonies sous un éventuel effet domino.
Aussi, en 1847, la majorité des membres de la loge maçonnique de Port-au-Prince, capitale d’Haïti, était des Juifs. Pendant ce temps, en France, après l’indépendance déclarée d’Haïti, des anciens planteurs de Saint-Domingue et leurs héritiers commencèrent à faire pression pour obtenir des compensations pour la perte de leur propriété après la révolte des esclaves. Pour se venger, ils imposent de terribles sanctions économiques.
Les Haïtiens devront dédommager leurs anciens maîtres esclavagistes et accorder des avantages douaniers à la France. Parmi ceux qui réclamèrent des compensations figuraient 22 familles juives de Bordeaux. Elles gagnèrent leur cause et le roi de France, Charles X, força Haïti sous la menace à payer une somme immense de 150 millions de francs-or. Ces noirs à peine libérés, ont dû organiser toute leur économie pour faire face à cette dette équivalant à 21 milliards de dollars US, sans compter les intérêts qui s’accumulent pendant un siècle.
C’est une somme colossale pour la petite nation à l’époque. Haïti n’ayant pas cet argent a dû contracter un prêt. La famille Rothschild, impliquée dans ces transactions et d’autres banquiers, vont fournir des prêts à Haïti. Ceci en imposant des taux d’intérêt élevés et des frais administratifs enfonçant profondément le pays. Cette dette imposée a bien évidemment gravement entravé le développement économique d’Haïti.
Ce fardeau financier a épuisé les ressources d’Haïti. Ce n’est seulement qu’en 1947 qu’Haïti finit de rembourser cette contrainte économico-historique en sacrifiant le développement de ses hôpitaux, ses écoles et ses routes. Elle restera stigmatisée comme à vie, subissant des dégradations et injustices raciales à ce jour.
Le vide institutionnel créé par l’un des plus grands scandales contemporains a invité le fléau des gangs armés à Port-au-Prince. Au summum de cette bévue, un ex-policier devenu chef de gang, du nom de Jimmy Chérizier, alias Barbecue, semble avoir le contrôle de la capitale. Son attaque des deux prisons principales de la ville a laissé s’échapper des milliers de prisonniers qui sèment davantage la terreur. C’est d’ailleurs lui qui s’est engagé à évincer le Premier ministre Ariel Henry… L’ONU parle de 300 000 déplacés rien qu’en janvier, 1100 tués et ces chiffres ne font qu’augmenter. Ne perdons pas de vue qu’une catastrophe naturelle en 2010 avait tout détruit. La terre avait tremblé, emportant avec elle 280 000 morts pour plus de 300 000 blessés.
Haïti ne s’en est jamais vraiment relevé. À la lumière de ces faits historiques, il est plus qu’évident que les Haïtiens, les noirs en général, ne sont pas cons ! Ces images en boucle d’Haïti misérable, comme si une île gouvernée par des noirs était vouée à la pauvreté, sont une désinformation qui malheureusement va dans le sens de la bourde grossière du Président français.
Ces manipulations de l’information sont voulues. Seulement, les Haïtiens n’exigent rien d’autre que des réparations et l’un d’eux ne pouvait pas laisser Macron faire semblant de s’intéresser à l’esclavage au Brésil, pour faire bonne presse, sans lui évoquer la question d’Haïti ; et la réponse de Macron qui aurait été grandi avec une approche diplomatique va au contraire être catastrophique : “ C’est terrible, mais terrible. Moi, je ne peux pas le remplacer. Ils sont complètement cons !
” Tout aussi révélateur, au-delà de l’insulte, dans sa réponse, se dégage une posture paternaliste et coloniale, comme si on attendait qu’il vienne sauver la politique haïtienne. C’est le complexe du sauveur blanc. Mais les Haïtiens et tous les opprimés ne veulent pas être sauvés. Ils attendent que la France prenne ses responsabilités, s’assume et affiche publiquement ce qu’elle vaut en réalité sans s’appuyer sur une quelconque autre nation. La Nouvelle-Calédonie, la Guyane, des nations africaines, Haïti et autres, ne veulent et n’attendent rien d’autre que réparation.
Kakou Nda
AfrikMonde.com