30-9-2024 (AfrikMonde.com) Depuis Nairobi au Kenya, African Stream, grâce à ses tentacules implantées, couvre tout sur le continent, de l’histoire à la politique, du sport aux infrastructures… Cette organisation panafricaine de médias numériques basée exclusivement sur les plateformes de médias sociaux, dérange en seulement une année d’existence. Donner la parole aux Africains, d’ici ou d’ailleurs avec l’objectif explicite d’être un guichet unique pour tout ce qui les concerne, est depuis, mis en péril par le géant du numérique.
Pour les Américains, il faudrait faire ce qu’ils disent, et non faire comme eux. La liberté d’expression est une denrée qui ne s’exporte pas, elle est purement occidentale et Ahmed Kaballo, fondateur et PDG d’African Stream, a osé l’affranchir. Elle sera sanctionnée, aussitôt bannie de tout leur arsenal, socle de la liberté de la pensée pourtant : Facebook, Instagram, TikTok et YouTube. La morale de l’histoire se retrouve dans ce que l’Afrique profonde enseigne : à la chasse au rat, on n’étale pas ses plans étant sur son terrier.
Qu’à cela ne tienne ! Déjà, en référence aux propos du président américain déclarant que Washington “mettrait fin” à Nord Stream 2 (système de canalisation assurant le transport de gaz sous haute pression reliant la Russie à l’Allemagne via la mer Baltique) si Moscou intervenait militairement en Ukraine, tout porte à croire que le 26 septembre 2022, les Américains ont mis à exécution leur menace.
Et rebelote, Washington, deux ans plus tard, le 18 septembre 2024, met fin au “streaming” des Africains avec leur objectif de mettre en lumière tout ce qui leur est illégalement pris. Selon le ministre des Affaires étrangères des Etats-Unis, Antony Blinken, African Stream, serait un élément de la propagande russe : “ African Stream donne une voix à tous les Africains, tant au pays qu’à l’étranger. En réalité, la seule voix qu’elle donne est celle de la propagande du Kremlin ” déclare-t-il.
African Stream n’a pas eu la grâce pour se préparer face à la menace. Du jour au lendemain, elle s’est faite balayée de tous ses supports numériques. Cette cabale médiatique contre David, en dit long sur les dommages causés à Goliath. Sékou Touré disait : « Quand tu es félicité par le colon, c’est que tu es mauvais pour ton peuple. Quand ils disent que tu es mauvais, c’est que tu es bon pour ton peuple. Le jour où ils diront que je suis bon, c’est que je vous ai trahi. » Nous sommes forcés d’emboîter ses propos et se dire que les vérités d’African Stream dérangent tellement, que l’Oncle Sam, qui ne réfléchit que par les muscles, à user de la solution la plus radicale, la mort d’un média africain par les Africains, pour les Africains.
Plus que jamais, l’objectif noble et patriotique de dénoncer les multinationales et les puissances extérieures qui cherchent à extraire les ressources du continent en complicité avec des partenaires locaux, doit vivre, survivre et faire écho, non pas seulement en Afrique, mais aux quatre coins du globe également.
Redonner donc aux Africains le contrôle de leur récit, rappelant un proverbe communément cité, faisant allusion aux récits de la chasse, racontée autrement par le lion, devrait aussi s’arrimer à leur redonner le mental et les pulsions nécessaires pour créer leur propre support numérique. Une porte qui se ferme en ouvre tant d’autres.
L’importance se joue dans la décolonisation des médias. African Stream ne vise qu’à contester les stéréotypes négatifs souvent véhiculés par les médias occidentaux sur l’Afrique, dont cette absurdité de relais des intérêts de la Russie. C’est dommage que la guerre en Ukraine se soit invitée dans les contraintes que subit l’Afrique. Obnubilés par les Russes, les Américains les voient partout. Seulement, African Stream met en avant une vision positive et diversifiée du continent, en donnant la parole à des créateurs et journalistes africains. Cette plateforme propose un large éventail de contenus, l’objectif étant de présenter une Afrique dynamique en constante évolution.
Dites-nous comment l’accent porté sur la production de contenus locaux, en Afrique et par des Africains peut être de la propagande Russe ? Dites-nous comment le reflet des réalités du continent et la promotion des talents locaux en sont d’autres ? Cet argumentaire de propagande russe dénote une approche pauvre, simpliste et surtout impérialiste.
Jadis chosifiables, ces sans âmes d’Africains ne peuvent jamais penser d’eux-mêmes. La condescendance de cette mentalité perdure dans la psyché de ceux pour qui la raison est hellène. Et pourtant, l’Afrique se souvient encore du 17 janvier 1961, où un certain Patrice Emery Lumumba, alors qualifié de “ Castro africain ” lié à l’Union soviétique par le directeur de la Central Intelligence Agency (CIA) de l’époque, Al Dulles, est exécuté. À la manœuvre, des forces soutenues par les États-Unis et la Belgique !
Ainsi, si la propagande russe en Afrique s’avère être une influence grandissante en puissance et s’accompagnant d’une stratégie de communication élaborée, qui est empêchée d’en faire autant ? Si des chaînes comme Russia Today et Sputnik diffusent des informations favorables à la Russie et critiquent régulièrement les pays occidentaux, que dire des diffusions de médias tels que BBC, RFI, et leurs contenus favorables à l’occident ?
Sur des plateformes comme Facebook, Twitter et YouTube, tout s’y retrouve : informations et désinformations, manipulations de l’opinion publique dans tous les sens. Et chacun, à l’aide de campagnes ciblées vise à discréditer l’autre et, de ce fait, fait la promotion d’un narratif qui lui est favorable. Tout ceci est de bonne guerre. Pourquoi donc rendre la compétition asymétrique et bannir la version des autres sous prétexte que vous détenez le monopole de la vérité ?
Pour ce qui est du groupe Wagner, décrit comme mercenaire qui jouerait un rôle important dans l’implantation des idéaux pro Russe, l’Afrique n’a pas oublié les atrocités du Français Bob Denard, un des plus grands mercenaires qu’a connu ce monde. Il a été impliqué dans de nombreux coups d’État sur le continent noir, de la période des indépendances, 1960, jusqu’en 1995. Le narratif le présentait comme libérateur, combattant aux côtés des forces armées africaines contre les terroristes.
S’agissant de coopération militaire, si la Russie fournit des armes et forme les forces armées de nombreux pays africains, quel est le but de toutes ses bases militaires occidentales sur le continent ? Chassé du Niger, à quoi servirait l’ouverture d’une base militaire américaine sur le sol ivoirien ? N’est-ce pas renforcer leur influence à travers ce genre de partenariat militaire et embellir l’impérialisme hégémonique ?
Autant les objectifs de la propagande russe en Afrique seraient d’affaiblir l’influence occidentale, autant la propagande du camp adverse chercherait à saper la crédibilité de la Russie. Chacun voudrait présenter une alternative aux modèles de développement. Liberté donc aux Africains de faire librement leur choix…
Soutenir les régimes autoritaires est un autre argument exploité. Seulement, au Tchad par exemple, on assiste à 33 ans de confiscation du pouvoir par la famille Déby qui bénéficie pourtant du soutien inconditionnel de la France. Au Moyen-Orient par contre, les Américains, juges et arbitres, dans le conflit palestinien ont, aux yeux du monde, perdu toute crédibilité à cause de leur soutien absolu à l’Etat hébreu.
Il est évident que chacun cherche à accroître son influence géopolitique sur la scène internationale, notamment en Afrique. L’accès aux ressources naturelles bon marché n’est secret de polichinelle pour personne. L’Afrique en est riche, notamment en pétrole et en minerais et naturellement, tous ces acteurs ne cherchent qu’à y sécuriser leur accès.
Nous savons qu’avec African Stream, il n’a jamais été question de violation des conditions d’utilisation, ni de problèmes de droits d’auteur, encore moins d’activités frauduleuses, mais visiblement d’une pression politique. C’est la manifestation réelle d’une liberté d’expression restreinte. Alors que ce média n’est qu’une initiative intéressante qui cherche à donner une voix plus forte à l’Afrique dans le paysage médiatique mondial, offrant tout évidemment une alternative aux médias traditionnels permettant de découvrir une autre facette du continent.
Kakou Nda