Côte d’Ivoire/Entretien (Sévérin Djorogo Nangui chef d’Anono) : ‘’Voici notre choix et les conditions pour une réconciliation véritable’’

20-12-2020 (AfrikMonde.com) Attaché à la réconciliation nationale et la préservation de la cohésion sociale, Sévérin Djorogo Nangui, Chef du village d’Anono dans la commune de Cocody, s’insurge contre la nomination de Kouadio Konan Bertin (KKB) à la tête du ministère de la Réconciliation nationale créé par le Président Alassane Ouattara. Il en donne les raisons et fait des propositions pour une sortie de crise définitive en Côte d’Ivoire.

Vous sachant très attaché à la préservation de la paix et à la consolidation de la cohésion sociale, comment avez-vous accueilli la nomination de Kouadio Konan Bertin au ministère de la Réconciliation nationale ?

En tant que chef, c’est à nous que revient la gestion de nos différentes communautés. Nous sommes les premiers garants des us et coutumes. C’est notre rôle, voire notre devoir d’accompagner ceux qui incarnent la Nation. Nous avons bien accueilli la création d’un ministère dédié à la réconciliation nationale. Parce que Dieu lui a indiqué qu’il n’aime pas le péché mais il ne blâme pas celui qui pèche. Le fait que le Président Alassane Ouattara ait créé ce ministère est une très belle initiative. Mais seulement que cela soit de façon sincère. Parce qu’il ne faut pas créer pour créer. Il faut éviter de faire plaisir à tiers personne. Dans la forme, ce ministère de la réconciliation nationale est la bienvenue. Mais dans le fond, est-ce qu’on veut véritablement réunir toutes les conditions pour aboutir à la réconciliation. Concernant la nomination du ministre Kouadio Konan Bertin dit KKB, nous n’allons pas nous prononcer sur la personne du ministre. Nous ne sommes pas d’accord. Même si c’était une autre personne d’une autre chapelle politique, nous allons le dénoncer.

Pourquoi vous vous insurgez contre cette décision du Président de la République qui tout comme vous, tient à la réconciliation nationale comme il le dit ?

Nous disons non tout simplement parce que ce ministère a été confié à un homme politique. Ce sont les hommes politiques qui nous ont entrainé dans cette situation dans laquelle nous sommes. On crée une structure politique pour réconcilier les Ivoiriens et on confie cette structure à un homme politique. Qui va-t-il réconcilier ? Ce sont les hommes politiques qui ont créé tout ce désordre dans lequel nous sommes. Parce qu’il faut qu’on comprenne qu’il ne s’agit pas de réconcilier les hommes politiques mais toute la population ivoirienne déchirée par cette situation créée par ces hommes politiques. Il faut savoir qu’il y a des Ivoiriens qui ne font pas la politique mais qui ont payé un lourd tribu de cette situation causée par les politiciens.

A vous écouter, Kouadio Konan Bertin n’est donc pas la personne indiquée pour occuper ce poste ministériel, encore moins pour réconcilier les populations ivoiriennes ?

Ne voyons pas la personne de KKB. Voyons plutôt sa position politique. Un homme politique qui a été acteur de cette situation douloureuse que traverse notre pays ne peut pas conduire cet important ministère.

Vous avez souhaité que ce portefeuille ministériel revienne à qui cependant ?

Nous aurions souhaité que ce poste soit occupé par un leader religieux, un chef traditionnel ou un chef de communauté très influent. Et ce chef de communauté cela existe. Ce sont les chefs de communauté qui sont en permanence avec leurs différentes populations. Et ces chefs traditionnels ont les moyens pour réussir la réconciliation. Pourvu qu’on leur donne des moyens additionnels et qu’on les laisse travailler en toute quiétude.

Et pourtant les chefs de communautés et certains leaders religieux sont taxés de faire plus la politique que les politiciens eux-mêmes…

Il faut reconnaitre qu’il existe des brebis galeuses dans tous les corps. Dans nos prérogatives, il est interdit aux chefs traditionnels de faire de la politique. Mais ce sont les mêmes politiciens qui utilisent ces chefs qui sont nécessiteux et qui ne savent pas leur rôle. La chambre des rois et chefs traditionnels qui a été créée a été politisée. Cette chambre n’a pas été créée dans les intérêts des bénéficiaires que nous sommes. Elle a été faite dans l’intérêt des hommes politiques. Cette chambre n’a pas été libérée comme cela devrait l’être.

Vous également, n’avez pas pris vos responsabilités pour la libérer…

Cette responsabilité se prend comment ? Humblement, nous ne faisons pas partie du directoire. Quand l’Etat a annoncé que les chefs seront rémunérés et que jusqu’à ce jour nous ne percevons rien, qui du directoire lève le petit doigt ? Mais ce n’est pas cela le problème. Le fait que le président du directoire de la Chambre des rois et chefs traditionnels soit nommé par le Président de la République, cela est sans conséquence pour la survie et l’impartialité de cette chambre. Nous avons et continuons de dénoncer cette manière de procéder. Il faut qu’on laisse les rois et chefs traditionnels agir comme ils le souhaitent. Nous pouvons nous-mêmes organiser notre structure. Mieux, nous estimons que cette chambre doit être gérée par un chef traditionnel qui avec son arrêté préfectoral est reconnu par l’administration. Les rois et chefs traditionnels doivent désormais décider de la gestion de leur structure mise en place par l’Etat afin que le président qui sera élu ou choisi par consensus ait une feuille de route. Il va falloir réorganiser la chambre des rois et chefs traditionnels qui est également une Institution.

Vous souhaitez que le ministère de la Réconciliation nationale soit confié à un leader religieux ou un chef traditionnel. Et pourtant, Monseigneur Paul-Siméon Ahouanan Djro a eu la charge la Commission nationale de réconciliation et d’indemnisation des victimes (Conariv) et dont les résultats n’ont pas convaincu les mêmes victimes…

Quand c’est le politique qui nomme le responsable d’une telle commission, qu’est-ce qu’on peut retenir ? C’est le mandant qui donne la feuille de route. Tout est déjà biaisé. Pensez-vous que Monseigneur Paul-Siméon Ahouanan Djro bien que connu de tous les Ivoiriens avait-il les mains libres pour réussir sa mission ? Il y a eu un rapport qui a été fait. Ce rapport a-t-il été suivi ? Le travail mené par cet éminent homme de Dieu n’a pas été échec. Seulement que ceux qui l’ont mandaté n’ont certainement pas vu d’un bon œil la conclusion du rapport qui a été fait. Surtout que si ce rapport accable les uns et les autres. Aussi l’on se souvient-on que Sébastien Djédjé Dano a été ministre de la Réconciliation nationale au temps du Président Laurent Gbagbo. A-t-il réussi sa mission ? Non ! Parce qu’il était un homme politique.

Selon vous, quelles sont les conditions pour arriver à une véritable réconciliation ?

Il faut véritablement le respect de nos us et coutumes. En Côte d’Ivoire, on ne veut rien respecter. Même nos propres lois. Les lois que nous nous sommes données. En clair nous avons connu cette énième crise par le non-respect de notre constitution. Après les élections présidentielles, il y a d’autres échéances qui pointent à l’horizon. Et tant qu’on ne va rien respecter, ce sera la même situation même cela n’est pas mon souhait. Pour arriver à une réelle réconciliation, il faut que justice soit également faite pour tous les différents camps. Sinon nous allons toujours vivre la paix dans le ventre craignant que l’autre nous attend au tournant.

Dans de telles conditions, comment appréhendez-vous la suite de la situation socio-politique en Côte d’Ivoire ?

Il faut qu’on arrive à situer les responsabilités dans ce pays. Il ne faut pas créer les structures de réconciliation par façade. Même avec la création de ce ministère dédié à la réconciliation nationale, nous voudrions savoir si les initiateurs sont véritablement sincères. Sont-ils sûrs de cette volonté. Dans le fond, si le Président Alassane Ouattara estime qu’il veut réellement réconcilier le peuple ivoirien, il ne confie pas ce poste à Kouadio Konan Bertin. C’est tout. Parce que KKB n’est pas la personne la mieux indiquée. Nous le disons parce que nous sommes convaincus que KKB ne peut pas réconcilier les Ivoiriens. Il faut qu’il lui donne un autre poste ministériel s’il tient à faire de son adversaire aux dernières élections présidentielles un ministre. Dans le cas contraire, c’est un échec programmé. Voyez-vous avec la Médiature de la République. Qu’est-ce qu’on voit avec le ministre Adama Toungara ? Parce que nous pensons que cette institution devrait œuvrer pour la réconciliation. Mais que remarque-t-on ? Rien du tout. Ce sont là les conséquences quand on confie ces structures aux hommes politiques.

Réalisé par Romarick N. Foua

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