Edito : Même si Liban se lit Nabil dans un monde à l’envers, il faut reconnaître l’importante contribution de ses ressortissants à l’économie ivoirienne

18-11-2024 (AfrikMonde.com) En réalité, rappelons-le, la Phénicie fut un ensemble de cités, cette région du Liban actuel à quelques arpents de terre supplémentaires au nord et au sud. La civilisation et l’économie, depuis la nuit des temps, ont été ce qui a uni les Phéniciens quand d’autres se livraient à des guerres. À la base du commerce d’antan, se trouvait le cèdre, indispensable aux pharaons pour la construction navale, la charpenterie et le sarcophage, de par son imputrescibilité, tandis que sa résine était utilisée dans l’embaumement des momies. Ainsi, Biblos, une de ces cités phéniciennes, inondera la Méditerranée de ce bois alors troqué contre des céréales et du papyrus…

Ainsi, le sens du commerce imprégné dans l’ADN, Phéniciens jadis, Libanais aujourd’hui, ont fait des affaires, leur seconde nature. Leur diaspora est issue d’une immigration fortement encouragée par les autorités coloniales françaises qui y voyaient des intermédiaires précieux pour commercer avec les Africains. Cependant, l’instabilité due aux guerres et la récurrence d’attentats vont davantage les pousser à l’exode. Ces migrants circonstanciels, majoritairement des chrétiens maronites appauvris, vont précéder leurs compatriotes chiites sur les côtes ouest africaines.

Aujourd’hui, 80 000 de ces négociants, formant la plus dense de leur population en Afrique, sont profondément enracinés en Côte d’Ivoire et détiennent jusqu’à 40% de son économie globale. Contrairement à ceux établis sur le continent américain, en particulier au Brésil, fort d’une communauté de 6 000 000 d’individus, ces marchands du Moyen-Orient ne s’intègrent pas complètement aux pays d’accueil. Cette marginalisation sociale vis-à-vis des pays hôtes fait mauvaise presse et se manifeste par une sorte de “ devoir de réserve ” sur le plan politique.

En contrepartie, majoritairement investi dans les affaires, 90% de ceux installés ici résident à Abidjan. Ils détiennent néanmoins 90% de la distribution de détail, 80% du parc immobilier privé, 60% du commerce et 60% de l’industrie. Ce poumon économique pesait déjà 15% des recettes fiscales de l’Etat ivoirien en 2013, soit 350 milliards Fcfa faisant intervenir plus de 300 000 emplois.

Ce succès ne passe pas inaperçu. Le mode de vie nettement élevé de cette communauté aisée, interpelle plus d’un parce qu’en parallèle, des faits divers en Côte d’Ivoire ou des profondeurs du pays du Cèdre, relayés par les réseaux sociaux peignent les patrons libanais et leur pays d’origine, de racistes qui méprisent, martyrisent et exploitent de façon inhumaine certains Africains. La quasi-totalité des employés ou ceux qui auraient fait le voyage inverse vers Beyrouth, disent tous la même chose en substance : “ Ils sont rois chez nous, mais nous violent et nous tuent…”. Voulant se faire justice soi-même, une horde de mécontents est prête à en découdre avec ces intouchables à qui l’Etat semble tout permettre.

Biétry la belle leur appartient. Les loyers exorbitants de cette somptueuse zone résidentielle dans la commune de Marcory et le coût de la vie à eux seuls suffisent comme rempart contre des Ivoiriens démunis qui s’y rendent plutôt pour des petits boulots. Des vitres teintées des cylindrées de luxe qui arpentent les ruelles, les passagers semblent vivre dans une bulle de rêve, ici, c’est Abidjan ! Il est aberrant qu’aucun regroupement africain, aussi aisé qu’il pourrait l’être, ne parviendra à avoir une mosquée ou une école voire un quartier huppé à sa guise au Liban. Mais ici, nous sommes bien dans un pays où l’hospitalité a ses raisons que la raison ignore. L’influence économique pourrait, selon certains, conférer un certain degré de protection.

Au Plateau, l’immeuble Nabil, Liban à l’envers, sorti de terre pour s’élever haut au ciel, matérialise l’ascension des Libanais dans le monde des affaires ici-bas, soulevant incongrûment la question complexe de leur aisance ou impunité en Côte d’Ivoire. Nombreux se demandent si ces ressortissants ne bénéficieraient pas d’un traitement de faveur : quartier, hôpital, écoles et autres d’un communautarisme inquiétant.

Chez eux par contre, cette histoire de Kafala, un système de recrutement et placement où un national embauche un étranger pour travailler chez lui, qui à l’origine était une procédure d’adoption spécifique au droit musulman correspondant à une tutelle sans filiation, ressemble plus à de l’esclavage moderne.

Désormais, ce système s’est mué, pour les travailleurs africains, en confiscation de passeport aux aéroports dès l’arrivée, en interdiction d’aimer, de se marier ou d’entretenir une quelconque relation amoureuse. En découlerait, l’interdiction d’avoir un enfant noir, aussi légiféré, ajoute à l’étonnement une absurdité pourtant réel et combien déshumanisant pour tous ceux pris au piège dans un Liban à la merci du génocide israélien en cours. Ce sont plus de 170 000 abandonnés à leur sort. Si au Sénégal voisin, un député révolté évoque l’éventualité d’une réciprocité dans cette pseudo-justice, obtuse et saugrenue, il serait tout de même regrettable qu’on en arrive aussi bas en interdisant aux Libanaises d’enfanter sur nos terres.

Mais nous sommes encore en droit de se poser la question de l’inutilité de nos ambassades dans ces bourbiers du Moyen-Orient. Dans la loi, les constructions et l’état d’esprit des Libanais, ce système de Kafala est institutionnalisé. On parle de privation de liberté, de viol, de violence, d’horaire fou de travail, d’interdiction de se nourrir, de parler. Les drames vont plus loin, 70% à 80% des travailleuses domestiques au Liban sont victimes d’abus physiques ou sexuels, le taux de suicide reste alarmant, un par semaine !

Des investigations, il ressort que l’Etat libanais semble être complice, car, quel que soit le cas, l’employeur a toujours raison. Aucune résonnance à l’international, il n’y aura ni poursuite, ni condamnation du Liban alors que certains y vivent un enfer.

En 2016, l’épisode du footballeur international ivoirien Yaya Touré fait école – En effet, empêtré dans un conflit foncier à Marcory, il a été sérieusement malmené par un ressortissant libanais à qui la justice ivoirienne va finalement donner raison – “ Cela ne se serait produit inversement, ” proclame la rue.

Seulement, il nous est enseigné, bien que des cas de discrimination et de racisme aient été signalés à l’encontre de personnes noires au Liban, notamment dans le domaine du travail domestique, qu’il est important de nuancer cette réalité. En parler ouvertement pourrait créer un cadre légal interdisant toute discrimination raciale ou autre. Aussi, de nombreuses organisations de la société civile pourraient lutter contre le racisme en défendant les droits des personnes les plus vulnérables. Ne sommes-nous pas condamnés à travailler ensemble pour construire des sociétés plus justes et inclusives ?

Si tout ce qui est dit sur les Libanais est avéré, comment arrivent-ils à être aussi prospères ? Comme dans n’importe quelle autre société, il y aurait de mauvaises graines par-ci et par-là, mais leur comportement ne devrait malheureusement pas être prêté à l’entièreté de ladite communauté. On parlerait alors de généralisation abusive stigmatisante, réduisant des individus à un seul aspect de leur identité et ignorant la diversité des expériences au sein de cette communauté.

Les relations historiques entre le Liban et la Côte d’Ivoire sont étroites, ce qui crée un climat de confiance et de solidarité qui devrait être mutuellement bénéfique. Des cas isolés de traitement de faveur accordé à des individus peuvent alimenter un sentiment d’injustice et renforcer l’idée d’une impunité généralisée. Seulement, accuser l’ensemble de la communauté libanaise d’en être bénéficiaire est une généralisation malsaine. En principe, tous les étrangers résidant en Côte d’Ivoire sont soumis aux mêmes lois que les citoyens ivoiriens.

L’application de la loi peut être complexe, notamment dans un contexte où les relations économiques et sociales sont étroites. Les autorités ivoiriennes doivent trouver un équilibre entre le maintien de l’ordre public et la promotion d’un climat d’affaires favorable afin de faire taire certaines rumeurs. De la réussite affichée de nos frères Libanais devrait naître le désir de faire comme, se surpasser pour aussi arriver à briller.

Il y a de la place pour tous sous le soleil d’un Dieu clément et juste. A tous ceux qui crient au loup à l’encontre des autres, le challenge est d’inverser la tendance qui les dérangent tant au lieu de s’embourber dans du xénophobisme. Il nous importe de combattre les stéréotypes et les préjugés en promouvant l’éducation à l’égalité et à la diversité. Seule cette diversité est garante de prospérité.

Kakou Nda

ndakakou@gmail.com