26-8-2024 (AfrikMonde.com) Les dénonciations des artistes Tiken Jah Fakoly et Amen Jah Cissé, avec leur nouvelle chanson “Actualités brûlantes”, s’inspirant du caractère emblématique rastafari qu’offre le reggae, dérangent, surtout pour ce qui n’a pas été dit ou pour ce qui est contredit.
Ce genre musical issu du ska et du rocksteady est un mouvement qui a pris de l’ampleur dans les années 1970 en Jamaïque, en s’opposant aux réalités socio-économiques telles que le chômage, le manque d’identité nationale et la pauvreté.
Sur la scène internationale, luttant contre l’impérialisme, il demeure principalement un élan socio-politique visant à transmettre des idées, affirmer des valeurs et exprimer des attentes. Tiken Jah se veut fidèle à ce courant musical.
Seulement, le timing de sa chanson dénonçant notamment le traitement de l’opposition dans les pays de l’AES est fortement critiqué, d’autant plus que son silence sur de récentes irrégularités qui entachent la planète est parlant : la démission de Sheikh Hasina au Bangladesh, le déplacement de la guerre Russo-Ukrainienne sur le continent, l’hécatombe perpétuelle et cyclique en RDC, un Kenya empêtré qui veut sauver Haïti, l’Afrique du Sud qui souffre du syndrome de Stockholm, la fracture abyssale soudanaise, la montée de l’extrême droite et ses déboires en Angleterre, des atrocités devenues banales en Palestine.
De cette liste non-exhaustive, aucun artiste, le temps d’un album, ne pourrait tout couvrir. Les détracteurs de Tiken Jah devront au moins le lui concéder. Néanmoins, d’aucuns diront que cela relève plus de son statut régional que planétaire. De plus, Platon suggère que la musique n’est pas simplement une forme d’art, mais un outil puissant qui peut être utilisé pour façonner les pensées et les comportements d’une population. En contrôlant les mélodies, les rythmes et les harmonies, les émotions peuvent être influencées, voire les valeurs et les attitudes d’un peuple. “Si tu veux contrôler le peuple, commence par contrôler sa musique ” dira-t-il.
En effet, la musique n’est pas neutre et peut être utilisée à des fins diverses, tant pour manipuler que pour émanciper. De ces implications modernes, elle a tout d’un outil de propagande. Les régimes autoritaires ou hégémoniques en ont fait usage pour endoctriner les masses et renforcer leur pouvoir. À l’inverse, en tant que vecteur d’identité, elle peut aussi être un moyen de résistance et d’expression identitaire. De nombreux mouvements sociaux et culturels l’ont utilisé pour rassembler des peuples autour de valeurs communes et lutter contre l’oppression. N’est-ce pas là l’essence du reggae ?
Aujourd’hui, cette citation de Platon résonne encore dans un contexte où la musique omniprésente le long de la mondialisation est utilisée à des fins commerciales ou politiques. Ces refrains sur le musellement de toute opposition dans les pays de l’AES, font donc irruption au moment où une campagne tout azimut contre eux bat son plein.
En sa productrice, Hélène Lee, un lien s’établirait-il avec ces millions d’euros débloqués par la direction générale de la Sécurité extérieure ou DGSE en faveur des artistes, sportifs et personnalités de la société civile africaine pour les intérêts de la France ? Hélène Lee, il faudrait le rappeler, est une journaliste française, spécialiste de la musique jamaïcaine et ouest-africaine, sa collaboration a permis à Salif Keïta, Alpha Blondy, Ray Lema de décoller sur la scène internationale.
Coincidentalement, Buju Banton, le lauréat jamaïcain du Grammy Award, regrette que les chansons d’artistes africains ne leur emboîtent pas assez le pas dans la lutte émancipatrice du noir. Selon lui, au lieu de faire barrage à l’oppression occidentale parce que toujours dominée, l’Afrique chante pour divertir bien qu’elle ait une plateforme qui touche des millions de personnes. La relève des stars planétaires telles que Lucky Dube, Fela Kuti, Salif Keita, Youssou Ndour ou Baba Maal, tous de vrais panafricanistes, ne semble point assurée. Pour Buju Banton, la notoriété qui vient avec l’argent est éphémère et pèse moins dans la postérité et dans l’héritage laissé.
Tel que démontré par Peter Tosh, chanteur, guitariste, organiste et auteur compositeur qui dénonçait l’esclavage. L’Afrique se souvient encore de Franklin Boukaka avec “Aye Africa”. Un chanteur, guitariste et auteur-compositeur congolais, spécialiste de la rumba et du soukous engagé, un vrai révolutionnaire.
Avec “On s’en fout ”, Black So Man, musicien reggaeman burkinabè, étrillait le système Compaoré. Malheureusement, ces visionnaires ont tous été assassinés pour leur prise de position en conformité avec l’Article 26 de la charte de l’impérialisme qui stipule : ‘’notre règle d’or est la liquidation physique des leaders et dirigeants nationalistes du tiers-monde.’’ Ceux, aujourd’hui, vibrants et vivants, du nouveau visage du reggae, porte-flambeaux de cette lutte sans fin avec leurs dreadlocks et tout l’apanage, seraient en réalité plus proches de l’oppresseur que des oppressés, dès lors qu’ils n’ont pas encore été liquidés. Aussi, de quoi parlent les textes de Magic System fait ambassadeur de l’ONU par exemple, s’insurge la critique, alors que le zouglou était à l’époque une musique engagée ?
Conséquemment, ce nouveau reggae, serait-il le prolongement hégémonique de la politique occidentale en Afrique, au moment où la France, placée sous une pression croissante, accumule les déconvenues au Mali, au Burkina Faso et au Niger ? Tout indique que l’Afrique émerge à nouveau comme un espace de compétition stratégique où la contestation de l’influence française semble se renforcer un peu plus chaque jour.
Les forces en mouvement dans la jeunesse africaine, sont-elles en train de signaler le dépassement irréversible du point culminant de la posture stratégique de l’Hexagone ?
Friande de musique, il faudrait donc l’endormir davantage, histoire de rebattre des cartes. Seulement, à mesure que le coût politique de la présence française s’accroît, la question du maintien de son engagement et de ses modalités est clairement posée. Les nouvelles orientations de la DGSE sont à l’œuvre pour pallier cette mise à l’écart qui se précise avec le temps qui passe.
Le risque de contamination régionale étant probable, toutes les cartes sont désormais sur la table pour éviter un décrochage suicidaire pour la France qui lutte pour son maintien au rang de 5e puissance mondiale.
Ainsi, le Tiken Jah de “Ils ont partagé le monde, plus rien ne m’étonne ” veut faire comprendre au nouveau Tiken Jah de “Regardez ce qui se passe dans l’AES, dès que tu critiques, c’est le front ou la prison”, ce qui est une contradiction ou un rétropédalage peut-être. Les dirigeants de l’AES parce que militaires donc hommes de terrain, préfèrent l’action à la parole. Au lieu que leur opposition s’enlise dans le verbiage, elle est invitée à vivre les réalités du front. Les pays de L’AES sont justement en train de lutter contre les héritiers de ceux présents à la conférence de Berlin de 1885, qui ont partagé l’Afrique tout en décidant du sort de sa population sans son consentement.
Comment avoir l’omelette sans casser les œufs ? Comment être libre sans se battre ? ‘’La liberté ne se donne pas, elle s’arrache par la lutte ”, martelait Abdoulaye Wade. Le combat de la libération de l’Afrique est noble et bien trop grand pour le fourvoyer dans des détails aussi puérils que futiles. S’inquiéter de toute opposition au combat de l’AES, c’est prendre parti pour ceux qui ont divisé Maman Africa. L’union ou la mort, l’Afrique devra vaincre.
Par Kakou Nda
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