19-8-2024 (AfrikMonde.com) « Private Vices, Public Benefits » du français, “La Fable des Abeilles”, est une œuvre satirique et philosophique de Bernard Mandeville. Publiée autour de 1714, elle connaît un vif succès, s’inscrivant dans le contexte des débats philosophiques et économiques de l’époque, notamment sur la nature de la moralité, du vice, de la vertu et leur relation à la prospérité d’une société.
Les réalités qui secouent la Côte d’Ivoire rappellent étrangement la thèse provocatrice de Mandeville selon laquelle les vices privés, tels que la vanité, l’ambition, la cupidité et la paresse, sont en réalité les moteurs cachés de la prospérité publique. Il argumente que la poursuite effrénée de ces vices par les individus, bien que moralement condamnables, stimule l’industrie, le commerce et la richesse d’une nation.
Ainsi, les penchants de l’élite gouvernementale en Côte d’Ivoire sont aussi importants qu’essentiels à son essor. Au profit du prolongement du 4ième pont de Yopougon à l’Indénié, tandis que le fameux décaissement de plus 4 milliards de francs CFA s’étire dans tous les sens, la population d’Adjamé-village devra sécher ses larmes. “ La route précède le développement ”, martèle le gouvernement. Froid, condescendant et à la limite arrogant, sa communication a tout d’une manipulation qui place le contribuable en position d’infériorité. Droit dans ses bottes, il parle avec désinvolture.
Déjà, lors de l’inondation de la pelouse du joyau d’Ebimpé, les téléspectateurs et tous ceux grâce à qui le sport vit, la bouche béante, avaient été marginalisés : « Les installations de ce stade ne sont pas mises en cause. Le système de drainage qui a englouti des milliards de francs a été homologué par la CAF. La pluie diluvienne est fautive ”. Circulez, il n’y a rien à voir.
Même tendance, du côté de la Construction et de l’Urbanisation où il est estimé que les villageois de Blockhauss, aussi proches de Cocody-Ambassade pourraient mieux vivre s’ils cèdent leurs parcelles à des immeubles de haut standing. Un village dans la ville d’Abidjan ? Non ! Leur mode de vie devrait évoluer. Ainsi, aux yeux du gouvernement, tout lopin de terre non exploité par du béton est un gâchis. “ Ces espaces en bordure de lagune, facilement accessibles, jouxtant l’Hôtel Ivoire sont d’une valeur inimaginable. ” Arrêtez de souffrir, il faudra que l’émergence se passe.
“J’affirme, le PDCI est un parti tribaliste ”. Cette allusion passe pour une distraction venant du ministre de la Promotion de la Jeunesse, de l’Insertion professionnelle et du Service civique. Des voix s’élèvent contre le porte-parole adjoint du gouvernement et indexent un débordement diffamatoire. Mais, dans ce pays, jamais il n’a été question de tribalisme. L’histoire le démontre, jamais il n’a été question d’un quelconque rattrapage ethnique, essence même du tribalisme.
Des scandales se succèdent, chacun tout aussi révélateur, donnant raison à la thèse de Mandeville selon laquelle les vices privés sont en réalité les moteurs cachés de la prospérité publique. Le décor qu’ils peignent collectivement assimile le déboire à la norme. A croire qu’en Côte d’Ivoire, rivaliser le plus dans des gaucheries garantit un poste de responsabilité dans le psychique du philosophe Mandeville.
Acculé et à court de ressources, le Japon a trouvé à travers ses kamikazes un moyen de renverser le cours de la guerre de 1944. Pour l’honneur du pays, ce recours à des héros au prix de leur vie a été une tactique désespérée. En Côte d’Ivoire, de récentes successions de suicides rappellent la fracture qui ne fait que grandir entre la réalité de l’Ivoirien lambda et les théories de son élite.
De vains martyrs, au prix de leur vie, espèrent peut-être post-mortem sauver le reste d’honneur qu’a ce pays. Devrions-nous nous étonner lorsque devant la détresse du peuple, le gouvernement se montre insensible alors que le suicide est bien plus qu’un simple geste désespéré. C’est la résultante d’une souffrance cérébrale intense et d’une incapacité à y faire face. Tout y passe, de l’augmentation du coût de la vie à la rareté des emplois, l’étau ne cesse de se resserrer sur une population aux abois.
Cependant, à la tête de ce gouvernement, on affirme : “Plus vous souffrirez dans votre travail, plus vous serez heureux. ” Les réactions, de la masse raillée, ne se feront pas attendre. Le soutien émotionnel, n’est-il pas plus important que des conseils dans bien des cas ? “Ne faites pas de sermons à quelqu’un qui a besoin d’un câlin ”. Le gouvernement est allé chercher maladroitement dans les Saintes Écritures en 1 Thessaloniciens 5 :16-17, “Soyez toujours joyeux. Priez sans cesse ”, l’encouragement à l’effort en rendant grâce en toute chose, volonté d’un dieu en Jésus-Christ.
L’omnipotence de la divinité chrétienne est centrale à tout dans son dogme, mais la Côte d’Ivoire est pluriconfessionnel avec 42% de musulmans, 34% de chrétiens et une proportion non-négligeable d’animistes. Le conseil du gouvernement ne fait donc pas l’unanimité. Laïc ou pas, le message sous-jacent est lâché : souffrez donc heureux ! Mais aussi, “travaillez, prenez de la peine, c’est le fonds qui manque le moins ”.
Mais ce présent gouvernement est arrivé aux commandes pour rétablir une certaine justice. “(…) Un Dioula n’avait pas le droit de porter un boubou dans ce pays. C’est grâce à Ouattara que cela est possible aujourd’hui ”, affirmait en 2017, feu Amadou Soumahoro, alors secrétaire général intérimaire du RDR. Les frères du nord auraient été martyrisés sur des questions tribales ou religieuses. C’est pourtant sous cette bannière islamique du porte-étendard du gouvernement que la Côte d’Ivoire fait face à une série de défis complexes qui relèvent plus d’une gouvernance qui a tourné le dos aux principes de la religion, qui prône la compassion, l’éthique et la moralité où justement, le déguerpissement tout azimut, le VIH/sida, la drogue ainsi que la corruption n’ont pas leur place.
Sur la place publique par contre, des déballages de détournement à coup de milliards de nos francs donnent un caractère héroïque aux coupables, qui jouissent encore d’une certaine impunité alors que tant d’autres ayant commis des crimes mineurs croupissent sous geôle. Des terrains d’Elokaté au groupe SNEDAI, en passant par les Fonds d’Entretien Routier (FER), pour arriver à l’abattoir de Port-Bouët, etc., les fautifs semblent peu inquiétés. Néanmoins, la Haute autorité pour la bonne gouvernance (HABG) fait état de près de 500 personnes inculpées pour corruption, enrichissement illicite, blanchiment, détournement de deniers et titres publics.
N’ayez donc crainte, car les vices privés, entre autres, musellement de l’opposition, cumul de mandats, cumul de poste, richesse des uns et appauvrissement galopante des autres, toutes ces escroqueries inspirées de la pyramide de Ponzi (Qnet, KDS, Gedico, Global Alliance, Monhevea.com, For Ever…), élections frauduleuses, justice partiale ou partisane, népotisme, etc., sont en réalité les moteurs cachés de la prospérité publique.
Selon Mandeville, la frugalité, la tempérance et la piété, vertus privées, bien que considérées comme moralement supérieures, risquent de mener à une société stagnante et appauvrie. En effet, si les individus se contentaient de satisfaire leurs besoins de base et ne cherchaient pas à se surpasser par l’acquisition de biens et de statut, l’économie s’en trouverait ralentie.
Cette analyse nuancée des motivations humaines et de leur impact sur la société, soulève des questions essentielles sur la nature du vice, de la vertu et du progrès économique. L’idée selon laquelle il suffirait de laisser les individus donner libre cours à la poursuite de leur intérêt et se faisant, agirait dans le sens de la prospérité économique, conduirait à l’adoption de comportements égoïstes exclusivement tournés vers la satisfaction de leurs vices.
Soyez aussi avides, égoïstes, dépensiers pour votre propre plaisir que vous pourrez l’être, car vous ferez ainsi le mieux que vous puissiez faire pour la prospérité de votre nation et le bonheur de vos concitoyens. Dans une telle société, il y aurait de la prospérité et de la gaieté malgré le comportement vicieux et égoïste de chacun tout simplement parce que le vice crée de l’activité économique qui engendre de la prospérité.
Les vices privés créent la vertu publique, parce que dans une société de la sobriété, il n’y a nul besoin de consommer. Parce que dans une société de l’altruisme et de la générosité, on ne se fait pas payer pour nos services. Parce que dans une société de l’honnêteté, il n’y a pas besoin d’avocat. La vertu morale n’y est pas compatible avec la prospérité économique. Ce qui fait marcher le pays d’un point de vue économique, ce sont d’abord nos vices, nos penchants pulsionnels.
Un système économique capitaliste a tout intérêt à ce que nous satisfassions notre pulsion, car en cela, on crée l’activité et on participe sans vouloir à l’harmonisation des intérêts.
Le récit de la ‘’Fable des Abeilles’’ devrait enseigner aux Ivoiriens que la morale est un obstacle au progrès économique, conséquence de l’accomplissement de la logique de l’intérêt privé.
Par Kakou Nda
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