7-10-2024 (AfrikMonde.com) Malfaiteur vivant hors la loi, voilà comment Robert Bourgi s’auto-décrit lorsqu’il déclare : “ C’est Sarko que j’aime. C’est un bandit, mais je l’aime. Il est comme moi : un affectif, un métèque…”. Robert Bourgi est cet avocat franco-libanais, personnage controversé qui ne semble rien avoir d’affectif. Bandit de métèque, dit-il. En 1945, Dakar lui offre la vie et une base solide au lycée Van-Vollenhoven, éducation qu’il ponctue en France avec un doctorat d’État en droit public dont la thèse évoque l’héritage colonial et la vision paternaliste de de Gaulle.
D’une capitale africaine à une autre, l’ancien conseiller des présidents Chirac et Sarkozy traîne sa bosse pendant des décennies, plantant de nombreux couteaux dans le dos de pas mal de personnalités qui lui ont naïvement fait confiance.
Le scepticisme quant à l’existence du monstre Françafrique, n’a plus sa raison d’être, fort de ses récentes déclarations. Rappelons que dès 1960, Charles de Gaulle avait été contraint d’accorder un semblant d’indépendance aux Africains. Mais en réalité, sous la table, le secrétaire général de l’Élysée aux affaires africaines et malgaches, Jacques Foccart, l’homme des coups tordus, ex-agent secret, sous la houlette de de Gaulle, va créer un système d’extorsion qui n’est autre que cette Françafrique.
Une organisation qui implique l’installation de dirigeants favorables à l’Hexagone et tout le corollaire qui va avec, en dépit ou en contrepartie de cette nouvelle légalité internationale que sont les pseudo-indépendances des Etats Africains. Ainsi, Foccart, cet autre homme de l’ombre du gaullisme, utilisera toutes les méthodes à sa guise pour contrôler ou étouffer toute opposition à la France. Il s’emploiera à être l’influent ami des chefs d’Etat africains, recourant aussi à des méthodes les plus brutales.
Le sulfureux revanchard Robert Bourgi, bon élève et héritier de Jacques Foccart, alors ami de son père, va entretenir ce système. Récemment, il a fait plus qu’étaler les preuves de ses manigances lors de son irruption soudaine sur TV5 et France 24. À lui tout seul désormais, il symbolise cette mafia de l’ombre. Seulement, les relais médiatiques de sa version de l’histoire n’émeuvent plus. Pour l’élite africaine, il passe pour Juda qui veut laver sa conscience. Après avoir trahi plus d’un, son opération de charme, serait-elle un coup médiatique pour la promotion de son nouveau bouquin ?
« Ils savent que je sais tout. Ma vie en Françafrique », titre son autobiographie parue chez Max Milo. Justement, il sait que nous savons tout… Nous savons que ses révélations ne sont pas nouvelles et coïncident étrangement avec la montée dans les sondages de la popularité de Villepin.
Chirac qui, à l’orée de son second mandat en 2002, est forcé de se défaire de ses services. Dès 1994, une affaire impliquant la société nationale de pétrole française Elf, s’avère être le plus gros scandale politico-financier de détournements de fonds dans une démocratie occidentale, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, totalisant 504 millions de dollars. La juge d’instruction Eva Joly y expose les tueries d’Elf pour le pétrole. Un vaste réseau de financement opaque par la brutalité et les meurtres démontre qu’Elf pillait le pétrole africain pour enrichir la France.
Ces révélations éclaboussent tout et perturbent l’assurance de Chirac. Ne disait-il pas que “ la France avait pillé l’Afrique ” ? Ce scandale sur le devant de la scène politique en France, va donc le pousser à vite se débarrasser de la preuve qu’incarnait la présence de Robert Bourgi, symbole des magouilles, pour ne pas compromettre davantage son second mandat.
Ainsi, Bourgi, évincé, va combattre Chirac et son ami de Villepin en s’alliant à Sarkozy en 2007. Les valises pleines d’argent seront désormais envoyées à ce dernier qui, tantôt, affirmait officiellement que “ la France, économiquement, n’a pas besoin de l’Afrique ”. C’est dans ce contexte que Robert Bourgi va enflammer le monde de ses mêmes révélations qui n’auront pas la résonance escomptée en 2011. Néanmoins, les velléités de de Villepin pour la présidence française après la chute de Sarkozy face à Hollande en 2012, se sont retrouvées fortement entachées.
Aujourd’hui encore, le phœnix de Villepin renaît de ses cendres et sa côte de popularité est en hausse. Il pourrait être la meilleure option pour réparer ce que la France vit en ces moments. Invité par tous les médias, ses positions aux antipodes des Etats-Unis, opposées à la guerre en Irak, au scandale et aux tueries d’Israël, ainsi que ses propositions sur le conflit russo-ukrainien, alimentent une alternative moins belliqueuse. De Villepin, présidentiable, dérange encore.
Il semble avoir le vent en poupe et voici Bourgi qui réapparaît avec son même vieux discours. De Villepin semble être contre-attaqué dans son livre, tandis que le président Alassane Ouattara et son prédécesseur Laurent Gbagbo s’y retrouvent indexés en dommages collatéraux. La France essaie-t-elle d’écarter ces deux acteurs de la scène politique ivoirienne ? Si l’un aurait cherché à s’attirer ses bonnes grâces, l’autre serait la personnification de ces fameuses bonnes grâces. Seulement, avec les lignes qui ont depuis bougé, qu’en sera-t-il de la course à la magistrature suprême prochaine en Côte d’Ivoire ?
En tout état de cause, quelle est l’opportunité de ces révélations sur TV5 et France 24, actuellement ? Ces médias à faible émission en France ne sont que le prolongement de la cellule Afrique du ministère français des affaires étrangères. Devrions-nous lire entre les lignes et entendre par là que la Françafrique, aussi subtile qu’elle soit devenue, opère toujours et reste un ennemi redoutable pour l’Afrique ?
Point inquiété par la lourdeur de ses propos, qui ne subiront aucun démenti, Robert Bourgi pour tout le mal qu’il a fait endurer, continue de circuler librement d’une capitale à l’autre tandis que des Nathalie Yamb, Kemi Seba, et autres défenseurs de la cause panafricaine en sont interdits.
2025 se veut l’année du grand basculement en Côte d’Ivoire. Les Ivoiriens vivent dans l’anxiété de leur prochaine élection présidentielle dans un climat délétère où les forces en présence ainsi que les pôles d’intérêts n’ont pas changé. La tangente de l’avenir en équilibre délicat entre retour au chaos et marche en avant paisible, entre instabilité et stabilité, entre tension et paix, reste sensible à tout. De violents souvenirs sont encore à fleur de peau.
La sortie de Robert Bourgi ne vient certainement pas aplanir des tensions issues de la crise postélectorale de 2011 qui tient toute la nation en haleine.
« Ils savent que je sais tout… » Que sait-il que nous ne savons pas ? Y’a-t-il anguille sous la roche ivoirienne avec le timing de sa seconde sortie ? Sinon, pourquoi ce réchauffé referait surface au moment où la CPI annonce se retirer de la scène ivoirienne ? Coïncidence ?
En effet, la Cour pénale internationale va fermer ses bureaux en Côte d’Ivoire en 2025. Elle assure, néanmoins, continuer d’enquêter sur les crimes commis pendant les crises des années 2000. Nombreux sont ceux qui attendent la publication de ses conclusions en cette même année électorale, afin qu’on bascule tous, enfin, vers l’apaisement des conflits sous-jacents, vers la prospérité promise. C’est certainement l’espoir de toute nation, gage de la réussite et du succès.
Kakou Nda
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