14-10-2024 (AfrikMonde.com) Il semble qu’aucune entité, voire volonté politique ne viendra à bout de la toute-puissante Fédération Estudiantine et Scolaire de Côte d’Ivoire (FESCI). Au fil des ans, toutes les mesures prises à son encontre, ne l’ont rendue que plus forte et populaire. Chaque tentative de musellement a radicalisé davantage ses sympathisants.
Conséquemment, très vite, ce “syndicat” sera rapproché du Front populaire ivoirien (FPI) d’alors, principal parti d’opposition dans l’échiquier politique ivoirien. Tous deux, soulignons-le, nés dans l’opposition à deux ans d’intervalle, FPI, 1988, FESCI, 1990 !
Issue donc de la fédération de plusieurs associations estudiantines, ses objectifs étaient de défendre les droits des étudiants, promouvoir l’éducation et la culture. Elle va participer activement à la vie politique et sociale en Côte d’Ivoire en luttant pour réclamer certains droits non reconnus sous le régime du parti unique. Aussi, face au PDCI, Parti démocratique de Côte d’Ivoire, son engagement dans la lutte pour les droits de l’homme en général et la démocratie font écho bien que son tout premier Secrétaire général, Martial Joseph Ahipeaud, prônait un élan apolitique.
Ainsi, cette prémunition à la lutte, lui confère une structuration quasi-militaire. Cette culture ancrée dans son fonctionnement la rendra plus qu’aguerrie, dotée de l’efficacité redoutable du syndicalisme. En atteste que, malgré les pressions et les difficultés, la FESCI a toujours réussi à se reconstituer et à poursuivre ses activités. Sa capacité à se réorganiser et à perdurer en fait une organisation particulièrement tenace. D’autant plus qu’elle en reste une mouvante, composée en grande partie d’étudiants qui changent régulièrement. Fort de ce perpétuel renouvellement, il est difficile de définitivement dissoudre une telle structure.
Cette résilience est fantasmée dans le subconscient de ses membres au vu de l’ascension fulgurante de bons nombres d’entre eux dans l’arène politique ivoirienne, à l’image d’un Soro Guillaume, Blé Goudé, Eugène Djué, Jean Blé Guirao ou Yayoro Karamoko pour ne citer qu’eux. Pro-Gbagbo ou pro-Ouattara, ils sont donc presque tous passés par là. Dans l’administration, de la justice à la presse, des représentants de la FESCI se retrouvent partout.
Les ardeurs de chacun ne pourront qu’être revigorées et, la flamme du pouvoir cristallisée par l’obtention d’importants postes de certains des leurs dans l’appareil étatique, ne pourra qu’être entretenue. Qui ne rêverait pas d’être un prochain Premier ministre, simplement ministre ou à la tête d’une institution gouvernementale, par le biais du tremplin de l’une des plus importantes organisations estudiantines du pays, qu’est leur FESCI ?
Rompus à l’exercice des législatures, des leaders politiques sont bien tentés de récupérer certains de ses cadres pour d’éventuelles campagnes. Très politisés, ils pourraient constituer une arme mobilisatrice pour la jeunesse urbaine. Ainsi, utilisée à des fins politiques, elle en ressort nullement inquiète, quel qu’en soit le crime. Dès lors, il n’est plus étonnant que cette FESCI se mue en un cartel reconnaissable par son attitude face au traitement qu’il inflige à la gente féminine, au pouvoir et à l’argent.
Les fescistes, au vu et su de tous, avaient mis sur pied un réseau juteux d’installation ou de racket de petits commerces au sein tout comme aux abords des campus. Le monstre ainsi né, va pousser des ailes et s’essayer à certaines manœuvres politiciennes. C’est tout comme le symbole de l’antichambre du pouvoir d’Etat et le Centre régional des œuvres universitaires (CROU) en payera les frais.
La FESCI, à la barbe de l’autorité gouvernementale, s’accapare la gérance totale des chambres universitaires, de la répartition à la collecte des loyers. De 3 000 Fcfa, des démunis d’étudiants sont contraints de payer 20 000 Fcfa pour une chambre simple. Les exemples sont multiples et les demoiselles n’en sont pas épargnées…
“Libérer le Koweït ” avaient-elles scandé. Le 17 juin 1991, moins de deux ans après sa création. A cet appel, certains décident de secourir leurs sœurs et donc de libérer le Koweït, nom donné à la cité universitaire de Mermoz occupée par Thierry Zébié, étudiant de 24 ans, inscrit à la faculté de sciences et techniques de l’Université d’Abidjan.
Il y règne en maître comme Saddam Hussein l’aurait fait au Koweït, terrorisant les filles, mais pas seulement elles, qui, exaspérées, vont convoquer un meeting pour se libérer de son emprise. Son corps sera retrouvé sans vie. Le gouvernement PDCI du Premier ministre Alassane Ouattara désigne alors la FESCI, le coupable idéal, comme responsable de la mort de Thierry Zébié.
Les nombreuses périodes de tensions qu’a connues ce mouvement avec les autorités ivoiriennes, assez souvent, ont conduit à des suspensions d’activités, des arrestations de membres et des interdictions de manifester. Cependant, ces mesures ne se sont jamais transformées en une dissolution complète de l’organisation. Aujourd’hui comme hier, on assiste au même cycle de violences autour des appâts du pouvoir, du vice de l’argent et son corollaire de plaisir à l’échelle universitaire.
34 ans après sa création, toujours dans cette logique d’un mouvement aux méthodes peu orthodoxes, le 30 septembre 2024, la découverte d’un corps sans vie défraie la chronique. Mars Aubin Deagoué Agui, étudiant de 49 ans, surnommé le Général sorcier, alors inscrit en un master 2 à l’Université Félix Houphouët-Boigny, a le corps qui “ présentait des traces de violences physiques ”, selon le communiqué du procureur de la République.
Il serait décédé de la rivalité qu’il entretenait avec le Secrétaire général actuel de la FESCI, Sié Kambou, depuis décembre 2023. À 49 ans, on ne fréquente plus les salles de classe à plein temps. Mais justement, feu Mars Aubin avait fait de ses activités au sein de la FESCI, sa carrière. Pourquoi se lancer dans le monde du travail quand on a, sous la main, une activité qui n’aurait rien à envier au monde de la contrainte des salariés ?
Seulement, pendant que la lumière se fait sur cette autre disparition crapuleuse, la destruction du siège de la FESCI, taxée d’ “ Une association de bandits, qui a fait de la loi du plus fort son seul moyen d’expression ” par Kouadio Konan Bertin, qu’il avait aussi qualifié de “ bras armé du Front populaire ivoirien ”, est l’arbre qui cache la forêt. Quelle serait cette entité privée alors permise de construire son siège sur le domaine privé de l’Université ?
La pose de la première pierre de ce spectacle à l’heure de l’émergence, avait été médiatisée en toute pompe le 27 septembre 2020 à l’occasion de la célébration de ses 30 ans d’existence au Palais de la Culture de Treichville. Le décès de ce jeune homme pourrait mettre fin à la récréation. La pilule de la distraction semble être difficilement avalable cette fois-ci. Mars Aubin Deagoué serait-il une victime précoce des tensions déjà perceptibles de l’échéance présidentielle de 2025 ?
Malheureusement, les pauvres expulsés manu militari des chambres, octroyées par la FESCI moyennant des coûts difficilement supportables par leurs familles démunies, qu’ils occupaient illégalement dans le registre du CROU, ne sont que de simples victimes collatérales. Les mesures prises par le gouvernement à la suite de la disparition d’un étudiant défient la logique.
Les présumés meurtriers sont au décès ce que les actions du gouvernement sont à ce remue-ménage démesuré qui s’abat sur des étudiants en pleine année scolaire. Étrangers à cet incident, ils ne demandent qu’à satisfaire leur cursus éducatif. L’Etat, pourra-t-il l’entendre de cette oreille ? Aussi regrettable qu’est la perte d’une vie, pourquoi en profiter pour chasser des étudiants qui pensaient avoir réglé leur souci de logement auprès de la FESCI ?
Oui, on le sait, qui paie mal, paie deux fois promulgue le code civil Ivoirien. Bien sûr, le premier cessionnaire en date dispose également d’un recours contre le débiteur solvens si celui-ci a payé le mauvais cessionnaire alors que la cession lui avait déjà été rendue opposable dans les conditions de l’article 1324, alinéa 1er. Mais la FESCI en tant que bailleur n’est secret de polichinelle pour personne.
D’aucuns voient le prolongement de la main de l’Etat. Pourquoi donc sévir maintenant ? Est-ce la diversion pour brouiller les pistes déjà que l’actuel Secrétaire général de la FESCI, le sieur Sié Kambou, n’arrête pas de clamer son innocence haut et fort ? À qui profiterait donc cette disparition, sommes-nous en droit de se le demander ?
Kakou Nda