Interview/ABEY Marius (président de la FIPABP-CI) : « La norme de 2003 est inadaptée aux réalités des boulangers … »

Vue d’une boulangerie-pâtisserie (PH/DR)

Abidjan, 07-07-2020 (AfrikMonde.com) Le pain, substance essentielle des repas quotidiens  des ivoiriens, sa fabrication, a largement évolué ces dernières décennies. Pour mieux appréhender sa qualité, nous avons M.ABEY Marius, président du Conseil Fédéral de la Fédération Interprofessionnelle des Patrons Artisans Boulangers et Pâtissiers de Côte d’Ivoire (FIPABP-CI).Entretien :

Depuis quelques années, nous assistons à une floraison de boulangeries dans la capitale économique ivoirienne. Selon vous, qui peut être fabriquant de pain en Côte d’Ivoire ?

En Côte d’Ivoire, selon les dispositions textuelles qui existent, peut être fabriquant de pain dans un premier temps, toute personne qui est intéressée par la boulangerie et qui veut en faire sa profession. Puisqu’au niveau des textes, il n’y a plus, à ce jour, des conditions normatives qui imposent la nécessité d’une formation professionnelle préalable. Cependant, pour un être un boulanger, le bon sens aurait voulu qu’on se forme auprès d’une structure agréée ou des professionnels du secteur, pour maîtriser l’art de la fabrication de pain. Peut donc, devenir fabriquant de pain, celui qui s’y intéresse et qui a eu une formation initiale à la fabrication de pain et de produits de pâtisserie.

Le pain est devenu presqu’un mets essentiel dans les ménages. Qu’est-ce qui explique cette grande consommation?

Les ivoiriens consomment beaucoup le pain. Nous en sommes heureux et souhaitons qu’ils en consomment davantage, parce que le pain est un aliment social, qui doit être à la portée de toutes les bourses. Nous souhaitons que les pains qu’ils consomment soient des pains de qualité, confectionnés dans nos boulangeries. Nous invitons les ivoiriens, à venir s’en approvisionner, en tenant compte des mesures barrières.

Qu’en est-il de sa qualité?

La qualité du pain est fonction de la maîtrise de la technique de production et aussi, de la nature des ingrédients, qui entrent en jeu dans sa confection. En Côte d’Ivoire, la population a des goûts très variés en matière de pain. Certains consommateurs affectionnent le pain bien cuit, à la couleur rougeâtre et d’autres, le pain légèrement cuit, qui donne une couleur blanchâtre. De ce fait, chaque boulanger fera le pain qui correspond à la demande de sa clientèle. Mais au niveau patronale, il y’a une norme qui est indiquée. Vous comprenez que le boulanger et le pâtissier produisent des produits pour la satisfaction de la clientèle. La qualité est donc fonction du goût de la clientèle. De fait, l’on ne peut juger de la mauvaise qualité, en se basant sur la couleur du pain. Il faut plutôt regarder la configuration de la clientèle qui est en face.

Qu’en est-il des normes requises à la fabrication du pain en Côte d’Ivoire ?

Concernant les normes, Côte d’Ivoire norme (Codinorm) a défini des normes pour la fabrication du pain. Ces normes s’intéressent  à la qualité de la farine à savoir la farine de type 55. Ces normes touchent aussi au poids du pain. Les normes disent que la baguette de pain de 150 FCFA doit peser entre 193 et 228 g et doit avoir une longueur qui varie entre 55 et 68 cm. Mais ces normes ont été élaborées depuis 2003, au moment où le sac de 50 kg de farine ne coûtait que 9000 FCFA. Aujourd’hui nous sommes en 2020, ces mêmes normes sont toujours  d’actualité, mais le prix du sac de la farine est fixé à 21.500 FCFA. Vous comprenez la source des problèmes des boulangers dans la confection et les difficultés dans la vente du pain français.

Pourquoi la norme n’a-t-elle pas évolué entre-temps ?

Aujourd’hui, nous travaillons à ce que l’État de Côte d’Ivoire et les professionnels que nous sommes, puissions trouver un point d’ancrage sur la nécessité d’une réforme de cette norme. Une norme doit changer et s’adapter aux nouvelles valeurs des paramètres qui la fondent. À cet effet, nous avons initié des actions en saisissant les ministères de l’Artisanat, du Commerce et Codinorm (Côte d’Ivoire norme) par courrier, en vue de faire évoluer la norme car les réalités de 2003, ne sont pas du tout adaptées à la situation actuelle et ne peuvent pas être imposées aux Boulangers aujourd’hui.

Les vendeuses de pains à la criée, participent à l’essor des boulangeries, en Côte d’Ivoire (PH/DR)

Qu’est-ce qui explique ces difficultés ?

La norme n’a pas changé parce que les structures habilitées à faire évoluer la norme, ne l’ont pas fait pour des raisons qui leur sont propres. Toujours est-il qu’aujourd’hui, les boulangers sont dans une situation intenable, parce que la norme qui préside en la matière est complètement inadaptée. D’où la nécessité de faire des réformes pour que la qualité soit au rendez-vous du pain. Les populations dénoncent la mauvaise qualité du pain, mais cette mauvaise qualité trouve aussi sa raison, dans le fait que la norme très contraignante est inadaptée à la réalité des boulangers d’aujourd’hui.

La Côte d’Ivoire fait face à une crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid-19. Avez-vous reçu de l’aide de l’État ?

Au niveau de la famille des boulangers,  jusqu’à présent nous n’avons pas encore reçu d’aide car les dispositifs en la matière, ne sont pas encore affinés au niveau des exigences pour bénéficier de cette aide. Les boulangeries sont de petites et moyennes entreprises et les conditions qui sont demandées sont des conditions très difficiles et ne permettent pas aux boulangers de bénéficier de l’aide, alors que les boulangers sont frappés durement par cette  crise sanitaire. La fermeture des lieux de spectacles et les mesures de restrictions créent un préjudice énorme pour les boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire, qui ont besoin d’aide parce que ces entrepreneurs sont dans le social, depuis longtemps, malgré l’augmentation du prix de la farine et des autres intrants. Les opérateurs économiques font tout pour mettre à la disposition des ménages, le pain quotidien. Nous leur demandons de rester à l’écoute car très bientôt, les choses vont s’améliorer.

Quel est l’impact réel de la Covid-19 dans le secteur de la boulangerie et de la pâtisserie ?

Le pain est devenu presqu’un mets essentiel dans les ménages (PH/DR)

L’impact est négatif, plusieurs boulangeries de l’intérieur et à Abidjan, sont fermées. Le niveau des activités a baissé de près de 60%. Des boulangers et pâtissiers ont du mal à payer les loyers, les salariés parce que le niveau de l’activité a chuté, alors que le coût des éléments qui rentrent dans la fabrication du pain grimpent. Au niveau des pâtissiers, il n’y a plus de regroupements, les cérémonies qui justifiaient la commande des gâteaux n’existent plus et cela va avec le pain parce que lors des manifestations les consommateurs font de grosses commandes de pain. En l’état actuel des choses, cela n’existe plus, mais au niveau de la fédération, nous avons apporté notre soutien à la population ivoirienne, en mettant à la disposition du ministère de la Solidarité près de 12 milles unités de produits de boulangerie et de pâtisserie, ce qui nous a donné droit à une reconnaissance du ministère. Nous nous mettons toujours à la disposition de l’État de Côte d’Ivoire pour apporter aux différentes entités du gouvernement qui seraient dans le besoin. Nous sommes disposés  à apporter notre pierre à l’édifice de la Solidarité pour dire que la Fédération interprofessionnelle des patrons artisans boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire, est une entité citoyenne qui œuvre pour le bien-être de la population ivoirienne. Elle ne peut pas travailler contre la population et nous souhaitons que les consommateurs en fasse de même à notre égard, afin qu’ils comprennent que la boulangerie et la pâtisserie ont des exigences et ces exigences se traduisent en termes de coût. Il est donc important que les ivoiriens soutiennent les artisans boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire, ce sont des entreprises citoyennes qui embauchent de nombreux jeunes salariés avec, ou sans diplôme ni qualification.

Le prix du pain va-t-il connaître un changement les années à venir ?

Le prix du pain est à 150 FCFA  et ce n’est pas dans nos souhaits de le voir changer. Mais cela n’est possible que, si notre corporation bénéficie de mesures exceptionnelles de nos autorités ayant pour objectif de réduire nos coûts d’exploitation. Nous sommes conscients des difficultés des ménages et sommes solidaires de la population, malgré la configuration actuelle. C’est pourquoi, nous pensons que l’Etat doit soutenir les entreprises de la filière boulangerie et pâtisserie. Il faut qu’ensemble, nous regardions dans la même direction pour que le prix du pain ne change pas. La balle est dans le camp de l’État.

Votre message aux Pâtissiers et Boulangers de Côte d’Ivoire?

Le pain, avant sans sa cuisson (PH/DR)

C’est d’abord de respecter les mesures barrières édictées par le gouvernement qui lutte pour que le virus ne se propage pas au sein de la population, parce que le virus, en plus de générer une maladie, génère aussi une crise économique. Nous disons à tous les boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire de respecter les mesures barrières, notamment le port du masque, le lavage fréquent des mains, le respect de la distanciation sociale de un mètre dans les rangs devant les guichets des boulangers et surtout de mettre en place un dispositif pour éviter les attroupements aux abords des boulangeries. Ensuite, ce que nous pouvons ajouter c’est de recommander à l’ensemble des boulangers et pâtissiers de Côte d’Ivoire, de travailler pour mettre à la disposition de la population ivoirienne des pains de qualité. Nous savons qu’ils vivent des moments difficiles à cause des paramètres du processus de production qui changent et du coût de la matière première du pain, à savoir la farine qui a triplé, à cause aussi des loyers, du coût de l’électricité et de la main d’œuvre qui ne cessent de grimper, alourdissant la charge des boulangers. En dépit de cela, nous voulons qu’ils nous fassent confiance en leur disant que nous travaillons toujours à ce que la norme 2003 soit revue et corrigée. Nous sommes en phase avec les autorités qui ont reconnu la justesse de nos réclamations. Aujourd’hui nous sommes en discussion avec Côte d’Ivoire norme, où nous allons très bientôt produire un document pour expliquer de façon technique, les éléments de grief que nous portons à la norme en vue d’une prise en compte générale pour la définition de nouvelles normes.

Avec Clarisse GBAKU