Edito/Néo-commerce triangulaire entre Africains et Européens : quand les visas remplacent les bateaux

16-9-2024 (AfrikMonde.com) Le visa Schengen est un document officiel, délivré par des autorités compétentes de certains pays de l’Union européenne, qu’un étranger doit présenter avant d’y accéder. En juin 1985 à Schengen, petit village luxembourgeois, cet accord permettant la suppression graduelle des contrôles de personnes aux frontières intérieures entre pays signataires, est acté.

Avant, le système de visa avec des règles, procédures et documents requis variait d’un pays à un autre. L’union faisant la force, une meilleure sécurité harmonisée au sein de l’Europe va faciliter la libre circulation des personnes, des biens, des services et des capitaux. Mais en réalité, quels sont ceux qui ne sont pas libres de circuler en Europe ? Parce qu’officiellement, l’objectif principal, qui est la suppression de contrôles aux frontières, sera atteint. Officieusement par contre, c’est une politique migratoire plus corsée qui est, de fait, en ligne de mire.

Ainsi, au niveau des aéroports des pays industrialisés, les attentes sont satisfaites. L’étau n’a cessé de se resserrer, d’autant plus que le tri s’effectue quasiment en amont, dans les services consulaires des capitales africaines. Au sud, la vaste frontière naturelle qu’est la Méditerranée, en collaboration avec la complicité des Etats du Maghreb, sera finalement sous contrôle.

Les nombreux naufrages tragiques sont moins contraignants que le flux interminable de migrants Africains qui échouent sur les rives européennes, ce, en dépit de leur périple suicidaire. Le scandale est mieux vécu aussi loin que possible des plages espagnoles, italiennes ou autres. L’Europe n’est pas une passoire migratoire, entendons-nous dire. Quelles que soient les voies, terrestre, maritime ou aérienne, les objectifs sont atteints : les Africains ne sont pas les bienvenus. “Ces gens-là ne sont pas des victimes. Ce sont des entrepreneurs en exil” estime Zemmour, polémiste président de “Reconquête”, pour qui “la France n’est pas une poubelle”.

Entêtés, obnubilés, parce que l’herbe paraît plus verte ailleurs, nombreux prodiges ou parias des sociétés africaines, ne rêvent que de départ ! Chez eux, disent-ils, l’avenir est incertain. Alors il faut partir se faire ou se refaire. Partir réussir. Partir pour paraître pour beaucoup. Aller augmenter les rangs de la main d’œuvre à bon marché. Partir maintenir le joug du colon. Jadis, on partait parce qu’enchaîné, parce que forcé. Désormais, l’esprit enclos dans la fixation, de notre propre gré, on part.

On s’engouffre dans l’incertitude, la tête baissée, l’esprit phagocyté. L’espoir d’être le prochain Gassama, le futur Eto’o ou cet autre Cheick Modibo Diarra… Cette nouvelle forme d’impulsion ravive un commerce vieux comme ce monde : la traite des esclaves dite commerce triangulaire entre ces mêmes Africains et ces mêmes côtes occidentales.

Seulement la question financière toujours centrale à cette purge démographique, a revêtu d’autres apparats. Pour partir en Europe légalement, il te faudra faire face à toutes les contraintes de visa. C’est payer de sa poche pour des gens à faible revenu, pour doublement enrichir l’Europe sur le plan intellectuel (fuite des cerveaux) aussi bien que financier. Le visa Schengen coûte la bagatelle somme de 130 euros !

A contrario, pour partir illégalement, tu paieras de ta vie. Mais pour qui surmontera la mort, l’Eldorado sur le vieux continent ne saura qu’offrir de petits boulots au bas de l’échelle sociale qu’aucun leucoderme n’accepte de faire. Dites-moi qu’il n’y a pas de sot métier. Travailler au noir ou s’enliser dans l’informel en Europe, c’est aussi renforcer leur économie. Les immigrants légaux ou illégaux, finissent tous par y participer…

Concernant l’obtention du visa hélas, les statistiques montrent effectivement que les ressortissants africains sont plus susceptibles de se voir refuser un visa Schengen. Le continent noir affiche le taux de refus le plus important, 27% contre 15% pour l’Amérique, 13% pour l’Asie, 7% pour l’Europe hors UE et 3% pour l’Océanie. Ainsi pour Bouazza Kherrat, Président de la fédération marocaine des droits du consommateur, “ c’est devenu du business, en plus d’être une barrière à des fins politiques ”. Bien que les raisons semblent être multiples, notamment le manque de justificatifs solides (financiers, professionnels, ou autres), des liens insuffisants avec le pays d’origine, la crainte de l’immigration clandestine, etc., le refus reste étrangement prévalant.

Rien qu’en 2023, ce sont 704 000 africains qui ont vu leur visa refusé sous prétexte qu’ils n’auraient pas de raisons assez satisfaisantes qui montrent qu’une fois là-bas ils allaient revenir chez eux. On les soupçonne assez facilement de vouloir tricher sur leur dossier ou d’abuser de leur titre de séjour. Une politique de soupçon est largement suffisante pour décider de leur sort. Néanmoins, ces 704 000 rejets ont contribué à ces 130 millions d’euros qui ont représenté les frais de visa refusés, sans compter le Royaume-Uni qui a généré à lui seul, 50 millions.

Sachant à l’avance qu’un grand nombre de demandeurs sera rejeté, pourquoi donc les laisser quand même postuler ? Vous ne remplissez pas nos conditions requises néanmoins, votre argent nous intéresse.

Des rejets qui représentent des millions d’euros, des poches africaines pour des caisses européennes. Tant qu’il y aura de l’argent gratuit, plus il sera évident qu’une politique de refus prospérera à renflouer des coffres. Les visas ont remplacé les bateaux dans ce commerce triangulaire.

Évidemment que le nombre de refus ne va cesser d’augmenter. Pourquoi ce service payant, si non abouti, n’est pas remboursé ? D’ailleurs, cette politique du refus est aussi utilisée comme levier de pression dans la coopération avec certains Etats africains. En 2020 par exemple, la France menaçait d’une réduction de 25% voire 50% le nombre de visas accordés, si la Tunisie n’acceptait pas de reprendre ses ressortissants en situation illégale sur son territoire. Un chantage que 115 organisations des deux rives de la Méditerranée ont dénoncé dans un appel intitulé : “La politique des visas : discrimination et injustice”.

Le rappel étant pédagogique, le temps s’y prête : aux Européens, la migration est un phénomène offert par la nature et présent chez de nombreuses espèces animales. Ce déplacement, souvent sur de longues distances, à caractère périodique, implique toujours un retour dans la région de départ. Il fait intervenir un comportement essentiel à la survie, la reproduction, la recherche de nourriture ou la protection contre des conditions climatiques extrêmes. Pour les Hommes, les raisons sont aussi bien familiales, économiques, politiques, naturelles, éducationnelles, psychologiques, institutionnelles, volontaires que diplomatiques. Toute l’étendue du ciel s’ouvre aux oiseaux gratuitement, mais les humains au sommet de la pyramide du savoir, érigent à volonté des barrières pécuniaires entre eux.

N’ayez crainte, ces migrants africains reviendront toujours à leur terre natale, leur immigration n’est que passagère. Ainsi, faire de la mobilité des Africains, une rente, ne pourra que générer de la frustration et du ressentiment envers les pays de l’Union européenne. Paradoxalement, ces restrictions à l’immigration légale poussent certains à des traversées clandestines, mettant leur vie en danger. Est-ce à souhait, pour simplement et uniquement une question de profit ? L’Europe aura tout à gagner pourtant, en capitalisant sur le potentiel des voyageurs Africains au lieu de s’arc-bouter sur des frais-sanctions de visa.

Traitons d’égal à égal et simplifions donc les procédures de demande de visa. Rendons l’information plus accessible et renforçons nos coopérations, avant que cette problématique discriminatoire ne pousse l’Afrique à imposer la réciprocité. La fin de ce nouveau commerce et le respect du continent passera peut-être par ce genre de décision politique.

Kakou Nda

AfrikMonde.com 

0758307448 – ndakakou@gmail.com