Interview /Franck Mickael Kouassi (Président l’Union nationale des enfants des planteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire) : ‘’La place des enfants est à l’école et non dans les plantations’’

15-12-2020 (AfrikMonde.com) Au cours d’une interview, le président de l’Union nationale des enfants des planteurs de café et de cacao de Côte d’Ivoire (UNEPCCI), Franck Mickael Kouassi, a estimé que le combat pour le bien-être du monde agricole ne doit pas se limiter au sommet des décideurs. En tant que fils de paysan, il assure œuvrer à sa manière pour le bien-être des agriculteurs, tout en souhaitant que le paysan soit traité comme un vrai acteur économique.

Franck Mickael Kouassi, vous êtes le président de l’Union nationale des enfants des planteurs de café et de cacao de Côte d’Ivoire (UNEPCCI). Pouvez-vous revenir sur les circonstances qui ont milité en faveur de la création de cette union ?

Au départ tous les enfants des planteurs des dix commune d’Abidjan se rencontraient à Yopougon chaque fin de mois pour jouer au foot et échanger sur l’évolution de la filière Café Cacao. Au fil des différents rencontres, nous avons muri l’idée de cette association qui a finalement été créée en 2012.

Quelle est la principale mission que s’est assignée l’UNEPCCI ?

Nous travaillons pour le bien-être des planteurs et de leurs familles. Nous luttons également contre la traite et les pires formes de travail des enfants dans la Cacao culture. Nous apportons également notre appui à la scolarisation des enfants des  planteurs de café et de cacao de Côte d’Ivoire. Nous faisons aussi  la promotion des produits finis issus du café et du cacao. Nous travaillons sur la chaîne de financement des femmes exerçant dans la filière café-cacao et nous encadrons les planteurs à s’approprier la politique de  l’agriculture durable et à l’agro-écologie ; nous encadrons les coopératives agricoles pour leur passage au standard de certification internationale. Notre volonté est d’œuvrer à faire en sorte que  les difficultés de nos parents producteurs remontent aux autorités compétentes. Sans  oublier que nous participons aussi au programme d’alphabétisation et d’initiation à l’informatique pour les enfants des planteurs de café-cacao de Côte d’Ivoire.

Est-ce à dire que la lutte contre le travail des enfants vous occupe le plus ?

La lutte contre le travail des enfants est notre premier objectif. C’est la raison pour laquelle nous sensibilisons et encourageons nos parents planteurs à scolariser nos petits  frères. Nous leur expliquons le danger qu’ils encourent, en utilisant des enfants mineurs dans les plantations. Ils sont informés que cela peut amener les institutions internationales à mettre un embargo sur le Cacao ivoirien. Ce qui pourrait être une perte énorme pour tout le monde. Pour éviter qu’on en arrive là, nous leur demandons de scolariser les enfants, car la place de ceux-ci est à l’école.

Combien d’actions avez-vous mené depuis que votre organisation a été portée sur les fonts baptismaux ?

Nous avons eu à mener beaucoup d’actions. Je ne citerai que quelques-unes. Nous avons offert 5 hectares de pépinière à des planteurs de café-cacao pour le renouvellement de leur verger. Dans le domaine social, nous avons pris en charge, avec le soutien de nos partenaires, six planteurs pour des cas d’opérations chirurgicales à Tiassalé. Nous faisons aussi des dons en matériels agricoles dont des herbicides aux planteurs de café-cacao de la région du  Loh-Djiboua. Chaque année, nous organisons des  arbres de Noël  pour les enfants des planteurs. Nous distribuons des kits scolaires aux meilleurs élevés. Nous venons même de faire des dons de prises en charge pour dix (10) enfants de planteurs. A Soubré, Divo et Daloa, nous avons organisé des caravanes de sensibilisation contre le travail des enfants dans la cacao-culture. 

Que représente un arbre de Noël pour les enfants de planteurs ?

Pour nous, l’enfant du planteur doit se sentir à l’aise comme tout autre enfant. Il s’agit pour nous de leur donner un peu de joie, en cette période de fin d’année, et surtout les encourager à mieux travailler à l’école, car la plupart des enfants du monde rural n’ont jamais vu de Père noël, n’ont jamais dégusté le chocolat et n’ont jamais reçu de cadeaux. Donc, pour nous c’est très important d’organiser un  arbre de Noël à travers lequel l’enfant du paysan se sent valorisé.

Quels sont vos rapports avec les structures existantes dont celle conduite par la Première Dame et le Conseil du café-cacao?

Nous avons maintes fois sollicité la Première Dame, Madame Dominique Ouattara qui est la présidente du CNS, mais nous n’avons pas eu de réponse. Par contre, le Conseil du Café Cacao ne nous a jamais fait défaut. Nous sommes à notre deuxième édition d’arbre de Noël. Cette structure nous vient en aide. Elle met à notre disposition des cadeaux et du chocolat pour les enfants des planteurs. Nous profitons de votre lucarne pour dire merci au DG du Conseil Café Cacao.

 Après des années d’existence, bénéficiez-vous de soutiens extérieurs ?

Nous sommes suivis par des organisations internationales Suisses et Françaises. Il y a eu des prises de contacts. Nous avons bon espoir que les années à venir, notre organisation pourrait bénéficier de soutiens matériels et financiers pour le bonheur de nos parents planteurs.

Qu’attendez-vous du gouvernement?

Nous attendons que le gouvernement, à travers le ministère en charge de la Jeunesse puisse aider les enfants des planteurs par le financement de leurs différents projets : plantation clé en main,  fermes avicoles, prises en charges scolaires, bourses d’études et surtout le financement des organisations des jeunes du monde rural.

En avez-vous une fois fait la demande ?

Oui, chaque année nous les sollicitons pour le financement de nos activités. Mais, jusque-là, nos demandes sont restées sans suite. Le producteur du café ou du cacao a souvent été légué au second plan.

Qu’est-ce que cela vous inspire ? 

Cela nous galvanise à toujours communiquer et attirer l’attention des décideurs sur les conditions difficiles de vie de nos parents planteurs. Nous voudrions aussi dire merci au gouvernement ivoirien qui, malgré le contexte économique difficile dû au Covid-19, a pu faire un effort, en augmentant légèrement le prix du kilogramme de Cacao passant de 825 Fcfa à 1000 Fcfa la même quantité. Nous saluons également son effort qui nous permet d’obtenir le DRD qui est le différentiel de revenu décent. Le DRD est estimé à 400 Dollars  (environ 220 000 Fcfa) par tonne. Lequel prélèvement devra être reversé aux cacaoculteurs. Nous pensons qu’à travers ces différentes actions, les conditions de vie des planteurs et de leur famille vont s’améliorer, bien que beaucoup reste à parfaire. Notre pays est le premier producteur de Cacao avec 2 millions de tonnes par an. L’Etat ivoirien doit combler notre retard en termes de stockage. Car, là où le Ghana parvient à stocker 500 mille tonnes, nous n’en sommes qu’à 300 mille tonnes. Or, si la Côte d’Ivoire a une grande capacité de stockage en cas de baisse du prix du Cacao, nous n’aurons aucune contrainte à brader nos fèves. Aussi, voudrions-nous encourager la Côte d’Ivoire à renforcer sa coopération avec le Ghana dans la mise en place de l’OPEP du Cacao, dont le siège sera à Accra pour défendre les intérêts des cacaoculteurs des deux pays.

Trouvez-vous normal que ce sont toujours les enfants des paysans qui regagnent en dernier le chemin de l’école ? 

C’est avec le cœur meurtri que nous voyons ces choses-là. Chaque rentrée scolaire est une peur pour nos parents planteurs qui se voient obligés d’attendre la fixation du prix du Cacao, en vue de le commercialiser avant de scolariser leurs enfants. Il y a des paysans qui bradent leurs productions ou s’endettent auprès des pisteurs véreux avant de mettre leurs enfants à l’école. Les planteurs de café cacao ont beaucoup donné à ce pays. Toutes les grandes réalisations (immeubles et autoroutes…) ont été financées en grande partie avec l’argent du Cacao. En retour, l’Etat doit remonter l’ascenseur vers les planteurs. Les kits scolaires distribués par le ministère de l’Eduction nationale sont insuffisants. Pour ce faire, nous proposons la création d’une banque typiquement dédiée au secteur du café cacao. Celle-ci ne se chargera que de financer les planteurs en difficulté et ceux qui ont des projets. Cette banque pourra être financée par les taxes sur le café-cacao. Cela devra aboutir à l’octroi de prêts scolaires avec zéro taux de remboursement.

Est-ce que vous en parlez lors de vos déplacements ?

Oui, bien évidemment ! Car l’éduction des enfants des planteurs est une priorité comme l’avait toujours fait savoir le Président Félix Houphouët-Boigny, le premier Président de la République de Côte d’Ivoire. Dans nos échanges et tournées, les planteurs demandent au Gouvernement de leur venir en aide pendant les rentrées scolaires. Ils nous disent toujours que la place des enfants est à l’école et non dans les plantations et que cela ne doit pas être un simple slogan.

Réalisée par Elvire Traoré

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